Le temps des forêts

Symbole aux yeux des urbains d'une nature authentique, la forêt française vit une phase d'industrialisation sans précédent. Mécanisation lourde, monocultures, engrais et pesticides, la gestion forestière suit à vitesse accélérée le modèle agricole intensif. Du Limousin aux Landes, du Morvan aux Vosges, Le Temps des forêts propose un voyage au cœur de la sylviculture industrielle et de ses alternatives. Forêt vivante ou désert boisé, les choix d'aujourd'hui dessineront le paysage de demain...

Entretien avec le réalisateur, François-Xavier Drouet

Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux forêts ?
Je suis arrivé il y a dix ans sur le plateau de Millevaches en Limousin, une zone boisée à 70%. Je ne connaissais alors rien aux forêts. Ces grands massifs de résineux m’évoquaient le Canada et me semblaient tout ce qu’il y a de plus naturel. J’ai vite compris que ces monocultures n’avaient rien de spontané et que la biodiversité sous ces conifères était très pauvre.

Au détour de chemins, j’ai découvert des dizaines d’hectares coupés à blanc, des paysages saccagés, des sols et des rivières dévastés par les machines… Quelques semaines après, on replantait sur ces champs de ruines des petits sapins gavés d’engrais et de pesticides. En faisant ce film, j’ai voulu comprendre ce système que personne ne semblait questionner, comme s’il était le seul modèle possible pour produire du bois. Comme le dit un intervenant dans le film, on a tendance à penser la menace qui pèse sur la forêt en termes de déforestation.

Le problème qui se pose en France est plutôt celui de la « mal-forestation ». Quelle forêt voulons-nous pour demain ? Un champ d’arbres artificiel ou un espace naturel vivant ? C’est la question que pose Le Temps des forêts.

Comment les forestiers vivent-ils ces bouleversements ?
Tous témoignent d’un changement brutal du travail en forêt depuis la fin des années 1990. Même dans des régions de tradition forestière, comme l’Alsace et la Lorraine, on voit s’imposer ces formes de sylviculture ultra-simplifiées, calquées sur le modèle agricole productiviste, où le forestier n’est plus qu’un récolteur de bois.

Ce n’est souvent pas la conception qu’ils ont de leur métier. Cette pression génère chez ceux qui résistent une grande souffrance éthique, dont la face visible est la vague de suicides qui secoue l’ONF depuis les années 2000. Beaucoup ont pourtant du mal à exprimer leurs doutes publiquement. Il y a une forme d’omerta en forêt. L’ONF verrouille sa communication, imposant aux agents un devoir de réserve.

La filière bois est aussi un monde presque exclusivement masculin, assez brutal, où il n’est pas bien vu de critiquer ou de montrer sa sensibilité. On est vite taxé de doux rêveur ou, pire, d’écologiste !

Qu’en est-il de la forêt publique ?
Elle ne représente qu’un quart de la forêt française, mais plus d'un tiers du bois commercialisé. Les réformes menées depuis 2002 ont bouleversé le métier de l'agent ONF, à qui l’on demande de privilégier la vente du bois au détriment des autres fonctions de la forêt : écologiques, récréatives, paysagères…

Depuis longtemps déjà, des projets de privatisation traînent sur les bureaux des ministères et les grands groupes sont à l’affût. Le film montre des agents très mobilisés pour défendre leur statut de fonctionnaires assermentés, garant pour eux d’une certaine autonomie. Ils auront besoin du soutien de tous pour y parvenir.

Des alternatives existent-elles ?
Oui et depuis longtemps! Le film montre qu’on peut tout à fait produire du bois et satisfaire nos besoins sans saccager l’éco-système. Il est absurde d’opposer économie et écologie. C’est au contraire en s’appuyant sur les dynamiques naturelles qu’on obtient les meilleurs rendements à long terme.

Mais ce n’est pas cette logique qui est défendue par les politiques forestières, qui visent à adapter la forêt aux besoins de la grande industrie. La forêt française est à la croisée des chemins et les propriétaires ont une lourde responsabilité sur son devenir. Ceux qui ne possèdent pas de forêt peuvent participer en achetant des parts d’un groupement forestier citoyen, comme celui que j’ai filmé dans le Morvan.

Il faut aussi développer les circuits courts, de l’arbre à la poutre, sur le modèle de l’agriculture paysanne. Les choix que nous faisons aujourd’hui auront des répercussions à l’échelle du siècle. J’espère que le film donnera l’envie à chacun d’agir sur le cours des choses.

Documentaire français de François-Xavier Drouet. Grand Prix de la semaine de la critique en marge du festival 2018 de Locarno. 4 étoiles AlloCiné.


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