La révolution silencieuse

Allemagne de l'est, 1956. Kurt, Theo et Lena ont 18 ans et s'apprêtent à passer le bac. Avec leurs camarades, ils décident de faire une minute de silence en classe, en hommage aux révolutionnaires hongrois durement réprimés par l'armée soviétique. Cette minute de silence devient une affaire d'Etat. Elle fera basculer leurs vies. Face à un gouvernement est-allemand déterminé à identifier et punir les responsables, les 19 élèves de Stalinstadt devront affronter toutes les menaces et rester solidaires...

L’histoire ne dit pas si les lycéens est-allemands de La Révolution silencieuse connaissaient le célèbre vers de Rimbaud. Celui-ci donne pourtant à méditer sur leur propre histoire, celle d’une bravade potache qui se transforma en affaire d’État. Le nouveau film du cinéaste allemand Lars Kraume (dont on vu en France le précédent Fritz Bauer, un héros allemand) La Révolution silencieuse est adapté du récit autobiographique de Dietrich Garstka, Das Schweigende Klassenzimmer. Celui-ci raconte comment, avec ses camarades lycéens d’une petite ville de la République Démocratique Allemande, ils improvisèrent une minute de silence en guise de protestation contre la répression de l’insurrection de Budapest par les troupes soviétiques (1956) et la mort supposée du footballeur Ferenc Puskás.

Pour dérisoire et inoffensif qu’il était, cet acte impulsif eut des conséquences qu’ils n’auraient jamais imaginées. Dans le contexte de crispation du régime est-allemand qui allait mener à la crise de Berlin et à l’érection du Mur (1961), le geste fut pris très au sérieux par les autorités éducatives. Elles s’attachèrent à débusquer et à châtier les meneurs de cet acte séditieux, menaçant l’ensemble des élèves d’une lourde sanction : l’interdiction de passer leur diplôme (l’Abitur, équivalent du baccalauréat) dans l’ensemble de la RDA, et donc d’accéder à des études universitaires.

Contre toute attente, et contre l’avis de leurs parents (on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans), les lycéens refusèrent en bloc de se laisser diviser et de trahir leurs camarades, préférant tout quitter pour émigrer en RFA.  

La bataille idéologique entre les deux blocs
Stalinstadt est proche de la frontière polonaise, mais à 80 kilomètres seulement de l’enclave occidentale de Berlin Ouest. A l’époque, le mur qui, cinq ans plus tard, séparera la ville en deux et en fera le symbole de la Guerre Froide n’est donc pas encore construit : on peut se rendre en train d’une Allemagne à l’autre, pour visiter sa famille ou fleurir la tombe d’un proche.

Néanmoins, afin de stopper l’hémorragie de population qui saigne la RDA (plusieurs millions de personnes ont quitté le pays depuis 1946), les contrôles de la police est-allemande sont de plus en plus stricts (il faut montrer patte blanche et prouver que l’on reviendra dormir à l’ombre du socialisme), et le régime s’en remet à la propagande. La bataille idéologique fait rage entre les deux blocs, exacerbée par la proximité culturelle et la communauté de langue.

Le film met en scène cet affrontement de deux propagandes : à l’Ouest, les actualités cinématographiques présentent l’insurrection de Budapest comme un héroïque combat pour la liberté, tandis que l’organe officiel est-allemand, Neues Deutschland, évoque un putsch contre-révolutionnaire fomenté par des provocateurs étrangers. On voit que la rhétorique n’a guère évolué, chute du communisme ou pas, et que la manipulation de l’information n’a pas attendu les réseaux sociaux et les fake news.

C’est d’ailleurs une de ces fausses nouvelles propagées par l’Ouest qui perdra les lycéens : la prétendue mort, sous les balles soviétiques, du talentueux footballeur hongrois Ferenc Puskás, annoncée par la RIAS (Rundfunk im amerikanischen Sektor), la radio de Berlin-Ouest, dont le régime socialiste interdit l’écoute depuis la fin des années quarante.

Drame Allemand de Lars Kraume. Prix de la meilleure interprétation masculine au Festival de cinéma de Valenciennes 2018. 4,1 étoiles AlloCiné.


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