Everybody knows

A l’occasion du mariage de sa sœur, Laura revient avec ses enfants dans son village natal au cœur d’un vignoble espagnol. Mais des évènements inattendus viennent bouleverser son séjour et font ressurgir un passé depuis trop longtemps enfoui... 

Entretien avec Asghar Farhadi, réalisateur et scénariste 

Comment est né ce projet ?
Il y a 15 ans, j’ai voyagé au sud de l’Espagne. Lors de ce voyage, dans une ville, j’ai vu plusieurs photos d’un enfant accrochées aux murs. J’ai demandé « Qui est-ce ? » et on m’a répondu qu'il s'agissait d’un enfant qui avait disparu, et dont la famille était à la recherche. Là, j’ai eu la première étincelle de mon intrigue et je l’ai gardée pendant des années en tête.

J’ai écrit une petite histoire sur ce sujet et je l’ai développée plus tard, il y a 4 ans, juste après le tournage du PASSE. J’ai songé à commencer ce projet ensuite. J’ai donc travaillé sur le scénario ces quatre dernières années. Mais on peut dire que le projet a vraiment démarré au moment de ce voyage en Espagne.

Deux choses m’y attiraient principalement : d'abord, l’ambiance du pays et la culture, et puis aussi ce fait divers, qui était à l’origine de l’idée. Ces deux éléments ont fait en sorte que, pendant toutes ces années, je ne pensais qu’à l'Espagne.    

Pourquoi avez-vous choisi de raconter cette histoire dans un petit village plutôt qu'à Madrid ?
Cette histoire devait se dérouler dans un village. Il s’agit de rapports humains entre villageois. Leurs relations ne sont pas les mêmes que celles de citadins.

J’avais par ailleurs depuis longtemps envie de tourner dans un petit village, en pleine nature. Je cherchais des histoires qui se déroulaient loin de la ville et de son brouhaha. Cela a inconsciemment joué sur mon esprit pour orienter l’histoire vers un lieu proche de la nature où il y aurait une ferme, un village… Ce qui suscite en moi une certaine nostalgie. Dans un village, les gens sont plus proches. Comme partout dans le monde, étant donné que la population villageoise est nécessairement réduite, les gens se connaissent. Et cela a nourri mon histoire. Si celle-ci s'était déroulée dans une ville, les gens ne se seraient pas réunis si facilement. Ils n’auraient pas ces relations entre eux. Il y aurait eu un autre film.

Donc, dès le départ, l'intrigue et mon envie de tourner dans la nature, dans un village, m’ont amené à travailler dans ce cadre. L’un des plaisirs de ce projet était de tourner au milieu de toutes ces fermes. Ce monde villageois où les gens se réunissent sur la place principale l’après-midi. L’autre point que je tiens à préciser est que les personnages du film, tout en étant pris dans une situation compliquée, sont des êtres simples. Et justement, placer les protagonistes dans un village renforçait cette simplicité. 

Avez-vous écrit le scénario en farsi avant qu'il soit traduit en espagnol ?
Oui, j’ai écrit le scénario en farsi dès le début. J’ai mis beaucoup de temps à sa rédaction. Des années durant, je suis revenu dessus, j’ai pris des notes et continué à rédiger. Il y a quatre ans, je m’y suis mis plus sérieusement. On le traduisait simultanément à l’écriture.

Après, l’histoire a beaucoup changé au cours de ces dernières années. J’ai fait plusieurs voyages en Espagne. J’ai discuté avec mes amis qui y vivaient. Et tout cela a influencé le récit. Mais durant tout ce temps, j’ai rédigé en farsi et, heureusement, avec une collègue (Massoumeh Lahidji) qui connaissait bien mon style d'écriture, la version traduite est devenue très proche de celle que j’avais écrite dans ma langue. Le but était de transmettre en espagnol ce qu’on ressentait à travers les mots persans. 

Comment avez-vous réussi à donner à ce scénario une touche espagnole ?
Quand j’ai achevé l’écriture du scénario en farsi, je l’ai donné à des amis qui vivaient en Espagne. Des amis qui ne travaillaient pas dans le cinéma, mais qui étaient des cinéphiles, et aussi des professionnels du cinéma : réalisateurs, comédiens, etc. J’ai recueilli tous leurs avis.

La première question que je leur posais, c'était si on sentait que l’histoire était racontée par un non-Espagnol. Et plus on avançait vers la version finale, plus ils étaient d’avis que l’histoire devenait complètement espagnole. Plus tard, lors du tournage, toute l’équipe et les comédiens m'ont aidé à ce que le film soit au plus proche d’un cadre de vie espagnol, et notamment de la vie villageoise. 

Justement, pourquoi avez-vous choisi Penélope Cruz et Javier Bardem ?
Cela remonte au PASSE, que j’ai réalisé en France. L’une des candidates pour le rôle principal était Penélope. Mais elle était déjà prise par un autre projet… ou plutôt, à ce moment-là, elle donnait naissance à son enfant. Nous n’avons pas pu travailler ensemble mais ce fut le début de notre amitié. Je lui ai parlé de cette histoire, de même que plus tard à Javier lors de notre rencontre à Los Angeles.

Pendant ces quatre dernières années, nous avons gardé contact et ils suivaient le projet. Mais après LE PASSE, j’ai finalement décidé de rentrer en Iran et de tourner un autre film, ce qui a reporté ce projet-ci de deux ans. Mais on ne s’est pas perdus de vue. Au-delà de leur interprétation, ces deux comédiens ont beaucoup aidé à la réalisation de ce film. Tout au long du projet, ils ont généreusement répondu à mes questions concernant d’autres acteurs ou d’autres sujets. Ce sont tous les deux des comédiens très doués, mais aussi des personnes profondément humaines.

Et notre relation dépasse maintenant la collaboration professionnelle.  

Drame d’Asghar Farhadi avec Pénélope Cruz et Javier Bardem. 7 nominations au Festival de Cannes 2018. 3,6 étoiles AlloCiné.


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