La prière

Thomas a 22 ans. Pour sortir de la dépendance, il rejoint une communauté isolée dans la montagne tenue par d’anciens drogués qui se soignent par la prière. Il va y découvrir l’amitié, la règle, le travail, l’amour et la foi…

Entretien avec Cédric Kahn, le réalisateur   

Quel a été le point de départ du film ?
Ce projet est né de trois rencontres décisives. En tout premier lieu, Aude Walker, une jeune écrivain, qui m’a mis sur la piste du sujet, ayant elle-même beaucoup enquêté en vue d’un livre sur des expériences religieuses tentées avec des toxicomanes. De Fanny Burdino et Samuel Doux, un duo de scénaristes, qui ont relevé le défi de l’écriture qui par certains aspects comportait pour moi beaucoup de défis et, enfin, de Sylvie Pialat, la productrice, qui a immédiatement adhéré au projet et à l’idée de le faire sans acteurs connus, dans l’esprit de mes premiers films. 

Les rapports entre les jeunes pensionnaires sont très forts : on est entre la camaraderie, la fraternité, voire parfois la relation filiale...
C’est probablement le vrai sujet du film, en tout cas celui qui me touche le plus : la reconstruction du lien. Les individus arrivent dans une solitude absolue, une grande détresse affective. Ce qu’ils apprennent au-delà de la prière, ce sont les règles, le partage, la vie en communauté. Et c’est probablement ce qui les sauve. L’amitié est d’ailleurs l’un des trois préceptes de la communauté, énoncés dès qu’ils arrivent, avec le travail et la prière. Et ce qui est encore plus étonnant dans ce lien, c’est que les garçons viennent de tous horizons et de toutes sortes de pays. Je tenais à ce qu’on retrouve dans le film ce côté melting-pot : le brassage des milieux sociaux et des diverses nationalités, des enfants de bonne famille comme des gamins de la rue, des Espagnols comme des Américains... Tous unis par les épreuves et dans la prière. 

D’ailleurs, vous montrez une grande diversité de parcours par rapport à la religion...
Quand ils arrivent, certains sont très loin de la religion, voire totalement récalcitrants. D’autres, au contraire, sont très éduqués, très croyants. Il n’y a pas d’obligation de prier, juste de respecter le temps de la prière, qui peut être vécu comme une simple pause ou une méditation. La religion et la vie communautaire les protègent ; ils sont coupés du monde, dans une bulle où ils se réparent de leurs blessures. Et au bout de quelque temps, ce qui devient finalement le plus inquiétant pour eux, c’est le monde du dehors, synonyme de danger et de tentation. L’apaisement advient, mais la fragilité demeure. 

Les chants sont très présents dans le film...
Le chant et les témoignages sont les piliers de la thérapie. Dans la maison, les garçons chantent tout le temps, en chapelle, après le repas, au coin du feu... Ils n’ont droit à aucune distraction : ni musique, ni télé, ni journaux. L’esprit ne doit jamais être oisif pour éviter de penser à la drogue. En dehors du travail, ils prient et ils chantent...

Filmer la foi ne va pas forcément de soi. Comment avez-vous résolu cette question ?
Par le doute. Rien n’est imposé au spectateur, il a toujours la possibilité de forger sa propre conviction, même dans la scène de miracle. Je tenais à ce que tout reste rationnel... Et que les images créent cette subjectivité, cette illusion. Les chants en chapelle, les marches dans la montagne, l’écho dans le brouillard : avec les moyens du cinéma, je pensais qu’on pouvait faire ressentir la présence, l’invisible... 

Quel est votre propre rapport à la foi ?
Je me définirais comme agnostique. Je n’ai aucune certitude. Je respecte les gens qui sont croyants et, par certains aspects, je peux même les envier. La foi est une affaire intime qui, par beaucoup d’aspects, dépasse largement le cadre des religions. Si on y pense, tout est question de foi dans la vie, l’amour, la passion, l’engagement. Moi par exemple, je crois en la mystique du cinéma. Une séquence réussie, c’est toujours un miracle, la conjonction un peu magique des éléments. 

Comment avez-vous trouvé l’endroit dans lequel vous avez tourné ?
Je voulais de la montagne, du paysage, un sentiment d’isolement, mais aussi d’espace, d’éternité. On a cherché dans les Pyrénées, dans les Alpes. Et on est arrivé dans le Trièves, en Isère, un plateau large entouré de montagnes à 360°. Un lieu magique, préservé, mélange de beauté et de rudesse. L’endroit idéal pour raconter cette histoire. Ce paysage est devenu un personnage du film à part entière.

Drame français de Cédrick Kahn. Ours d'argent du meilleur acteur pour Anthony Bajon à la Berlinale 2018. 3,9 étoiles AlloCiné.


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