Une famille syrienne
Dans la Syrie en guerre, d'innombrables familles sont restées piégées par les bombardements. Parmi elles, une mère et ses enfants tiennent bon, cachés dans leur appartement. Courageusement, ils s’organisent au jour le jour pour continuer à vivre malgré les pénuries et le danger, et par solidarité, recueillent un couple de voisins et son nouveau-né. Tiraillés entre fuir et rester, ils font chaque jour face en gardant espoir...
La réalité de la guerre est très présente dans votre film mais reste essentiellement hors-champ… On voit beaucoup d’images des conflits armés à la télévision, on entend des commentaires sur les actes de tortures perpétrés, mais on ne voit pas comment les gens se débrouillent au quotidien dans cette réalité dont ils sont otages. Dans Une famille syrienne, je voulais mettre des images sur ces personnes qui subissent la guerre au jour le jour, quelles que soient leurs convictions politiques.Dans Une famille syrienne, je ne fais pas de politique, ou plutôt j’essaie de me situer en dehors des polémiques partisanes, ce n’est pas mon propos. Je veux être au cœur de l’humain, avec un contexte historique et géopolitique aussi réduit que possible.
D’où l’idée aussi du huis-clos ? Cette idée m’est d’abord venue d’une amie chef opératrice syrienne, avec laquelle j’avais travaillé au Liban. En 2012, alors qu’elle est de passage à Paris, je prends des nouvelles de sa famille et elle me dit que ça fait trois semaines qu'elle n'a pas de nouvelles de son père, qui vit à Alep. Elle sait juste qu’il est dans son appartement, dont il ne peut pas sortir parce que ça bombarde dans tous les sens autour de chez lui. Je suis parti de là : imaginer cet homme dans son appartement. En me disant : et si cela m’arrivait à moi ? Quels seraient mes propres ressorts, comment fait-on pour tenir ? Pour répondre à de telles questions, pas besoin d’aller enquêter en Syrie, de se documenter ou de lire des témoignages. L’important est de plonger dans l’humain. L’idée était de raconter le quotidien d'une famille ordinaire en imaginant les pénuries avec lesquelles il faut composer pour que ce quotidien conserve une apparence de normalité. Normalité qui est le seul faux-fuyant contre le déchainement de violence qui s'abat indistinctement et sans crier gare.
Les deux maris étant hors-champs, les forces vives du film sont essentiellement féminines… Face à la violence, la femme ne répond généralement pas par la violence. Elle trouve d’autres ressorts, que je trouve exceptionnels et que j’avais envie d’explorer, notamment lors de la scène de viol. Halima essaye de se prêter volontairement au « jeu » de ses agresseurs plutôt que de rester sur la défensive, à prendre des coups. Elle essaye de les diviser, de les éloigner autant que possible de son bébé d’abord, et des autres ensuite. Et de rester en vie elle-même. Son action est avant tout guidée par son instinct de survie. Quand je suis confronté à la représentation de scènes aussi violentes, j'essaie toujours qu'à aucun moment le spectateur n'ait besoin de détourner le regard et, en même temps, je ne voulais pas faire l'impasse sur la brutalité de cette scène. Alors je me suis concentré sur la résistance et la dignité de cette femme, qui irradient tout son corps. Ensuite je savais pouvoir basculer aussi dans la cuisine et montrer par le son seulement ce que cette violence produit sur ceux qui en sont témoins.
Cette violence faite aux femmes est une véritable arme de guerre. Du point de vue de nos archaïsmes, la position de la femme, même dans nos sociétés occidentales, reste profondément sédentaire, au sens premier du terme. La femme, c’est la maison, le port, celle vers laquelle on revient, qui permet le mouvement, l’action. Elle est donc une cible prioritaire dans tout conflit. Quand on détruit la femme, on détruit l’énergie, la volonté et la raison de se battre du combattant.
Cette femme face à ses agresseurs alors que les autres occupants de l’appartement sont réfugiés dans la cuisine est aussi pour moi une forme de métaphore. D’une certaine manière, ceux qui entendent tout et qui voient tout et ne font rien, c’est nous. Et la jeune femme, c’est la Syrie.
Pourquoi la mère ne veut-elle pas quitter cet immeuble ? La raison de rester de cette femme d’origine palestinienne est claire, elle le dit : « Moi je suis née sans maison. Personne ne me fera partir d’ici. » Elle a construit son espace de vie dans cet appartement, avec son mari, ses enfants. C'est son œuvre en quelque sorte, et elle la défend. Je me dis aussi que ces gens ont peut-être laissé passer l’occasion de partir à un moment donné, espérant que les choses allaient finir par s’arranger. Il y a toujours cette première période où l’on se dit que ça va se calmer. Et le temps d’appréhender la réalité, souvent il est trop tard. Savoir que c’est « maintenant ou jamais » qu’il faut partir nécessite beaucoup de courage.
Drame de Philippe Van Leeuw. Nomination au festival du film francophone d'Angoulême 2017. 4 étoiles AlloCiné.
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