Ôtez-moi d’un doute

Erwan, inébranlable démineur breton, perd soudain pied lorsqu’il apprend que son père n’est pas son père. Malgré toute la tendresse qu’il éprouve pour l’homme qui l’a élevé, Erwan enquête discrètement et retrouve son géniteur : Joseph, un vieil homme des plus attachants, pour qui il se prend d’affection. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, Erwan croise en chemin l’insaisissable Anna, qu’il entreprend de séduire. Mais un jour qu’il rend visite à Joseph, Erwan réalise qu’Anna n’est rien de moins que sa demi-sœur. Une bombe d’autant plus difficile à désamorcer que son père d'adoption soupçonne désormais Erwan de lui cacher quelque chose… 

Entretien avec Carine Tardieu, la réalisatrice  D’où est née l’idée du film ?
Elle m’a été inspirée par le récit d’un ami : à la mort de sa mère, ce Breton d’une cinquantaine d’années apprend que son père n’est pas son père. Il encaisse la nouvelle et engage un détective qui, après quelques mois de recherches, retrouve son père biologique, un vieil homme qui habite, lui-aussi, en Bretagne. Père et fils se prennent d’emblée d’affection l’un pour l’autre et nouent une relation très forte, à l’insu du premier père. Aujourd’hui, et pas mal de rebondissements plus tard, mon ami a désormais deux pères. J’ai trouvé son histoire tellement bouleversante que je lui ai demandé l’autorisation de m’en inspirer. Les rapports mère-enfants prenaient jusque-là toute la place dans vos films… … et il était temps pour moi de « passer au père ». J’y pensais depuis longtemps sans trouver le biais par lequel aborder ce thème. L’histoire de cet ami contenait toutes les questions qui me taraudaient.

Pourquoi avoir choisi de donner à Erwan, le héros, qu’interprète François Damiens, le métier de démineur ?
Dès les prémices de l’écriture j’avais une image en tête : celle d’un homme qui fouille, creuse la terre, et finit par faire exploser une bombe enfouie au plus profond. Je voulais symboliser cette idée qu’en creusant dans le passé, en remontant aux origines, on prend le risque de mettre à jour des secrets au potentiel… explosif. Par ailleurs, j’avais été marquée par cette façon si singulière qu’avait Claude Sautet, un réalisateur à qui je voue une admiration sans bornes, de filmer les hommes au travail. J’avais notamment le souvenir des scènes de chantier dans « César et Rosalie », où Yves Montand est ferrailleur. J’aimais l’énergie qu’elles dégageaient et j’ai donc d’abord imaginé Erwan en chef de chantier. Puis l’idée a fait son chemin… Faire d’Erwan un démineur était l’occasion de filer cette métaphore, tout en découvrant un métier fascinant et finalement assez rare au cinéma…

La première réaction d’Erwan est de se rendre chez une détective pour lui demander de retrouver son vrai père. A aucun moment, pourtant, il ne remet en cause la tendresse qu’il a pour Bastien, l’homme qui l’a élevé et qu’interprète Guy Marchand.
Pourquoi rejetterait-il du jour au lendemain celui qu’il a pris toute sa vie pour son père ? Soit celuici est au courant et n’en a jamais parlé pour le protéger ; soit il ne sait rien et ce serait sans doute terrible pour lui de l’apprendre. Erwan ne ressent aucune colère contre son père, la violence de l’annonce, c’est à lui-même qu’il l’inflige en commettant une imprudence qui manque lui être fatale…

Joseph, le père biologique d’Erwan, interprété par André Wilms, est très différent de Bastien, qui l’a élevé.
C’est un intellectuel, un ancien militant. Il est plus aérien que Bastien qui, lui, est un vrai terrien - un homme finalement assez simple qui aime piloter son bateau et nourrir les gens qu’il aime. La première fois qu’Erwan et Joseph passent du temps ensemble, Erwan est fasciné par ce nouveau père à la jeunesse intense et passionnée. « Moi qui pensais que j’avais une famille des plus banales », lui dit-il : il se découvre une nouvelle histoire familiale et se sent porté par elle. C’est comme une renaissance. Mais au fond, Joseph et Bastien se ressemblent… Ils ont notamment en commun d’avoir leur vie derrière eux, la nostalgie, l’isolement, la solitude. C’est l’une des choses qui me touche le plus au fond dans cette histoire, toutes ces solitudes qui se croisent, se rencontrent ou s’entrechoquent : Juliette, la fille d’Erwan, Didier le cas social. Anna, la fille de Joseph, dont Erwan va s’éprendre, est également très seule…

Le secret tient une place importante dans votre cinéma.
Je dirais plutôt qu’il s’agit de non-dits. Chacun en sait finalement beaucoup sur l’autre sans forcément le verbaliser : il y a une forme de pudeur à ne pas dire les choses, et puis dans cette histoire, personne n’a envie de perdre personne : l’amour et la bienveillance circulent constamment entre les personnages. Au fond c’est un film très tendre, je le revendique à cent pour cent.

Les pères, notamment, sont assez merveilleux : malgré la souffrance que cela suppose, Bastien comme Joseph autorisent leurs enfants à partir : ils les émancipent.
La paternité de Bastien a beau s’être fondée sur un mensonge, elle n’en est pas moins forte, au contraire même, et il saura le lui prouver… Joseph, lui, a bien conscience d’être un boulet pour sa fille mais ne peut pas se passer de sa compagnie. L’irruption d’Erwan dans sa vie lui donne un second souffle et lui permet de retrouver sa juste place auprès d’Anna, de se rapprocher d’elle pour mieux s’en détacher, la libérer…

Comme toujours dans vos films, le ton oscille entre gravité et comédie.
Il n’était pas question de traiter ces questionnements très sérieux sur le mode du drame. « Ôtez-moi d’un doute » est une double comédie romantique, l’une, finalement assez classique, qui met en scène une histoire d’amour impossible entre un homme et une femme, l’autre, moins convenue, entre deux hommes - un père et son fils - qui apprennent à s’apprivoiser. 

Comédie romantique de Carine Tardieu. 4 nominations, Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2017. 4 étoiles AlloCiné.


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