Au revoir là-haut

Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l'un dessinateur de génie, l'autre modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l'entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire..

Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet  ? Qu’est-ce qui dans le roman de Pierre Lemaitre vous a donné envie de l’adapter ?
En plus de mon énorme plaisir de lecteur, je trouvais le livre extrêmement inspirant. J’y ai vu un pamphlet élégamment déguisé contre l’époque actuelle. Tous les personnages me paraissaient d’une modernité confondante. Une petite minorité, cupide et avide, domine le monde, les multinationales actuelles sont remplies de Pradelle et de Marcel Péricourt, sans foi ni loi, qui font souffrir les innombrables Maillard qui eux aussi persévèrent à survivre à travers les siècles. Le récit contenait également une histoire universelle, dans le rapport d’un père plein de remords, à un fils délaissé et incompris.

Et enfin, l’intrigue de l’arnaque aux monuments aux morts créait un fil rouge donnant rythme et suspens au récit. Tous ces éléments ont fait que pour la première fois pour moi une adaptation me paraissait faisable et judicieuse. De surcroit le livre de Pierre Lemaitre est un véritable mode d’emploi pour un scénario tant son écriture est visuelle et ses personnages parfaitement définis psychologiquement, le tout dans une narration aux rebondissements continus.  

Entre comique et tragédie : ni tout à fait burlesque ni totalement pathétique... comment parvenez-vous ainsi à lier les deux ? Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette tension ?
Là encore, ces valeurs étaient très présentes dans le livre de Pierre (par exemple la phrase « laide de face mais belle de dot » est de lui et je me suis empressé de la garder dans les dialogues). Pour le relief émotionnel que vous évoquez, tout dépend de la force d’incarnation des acteurs, et si l’on considère deux personnages burlesques du film, Labourdin et Merlin, j’ai fait appel à deux grands acteurs, Philippe Uchan et Michel Vuillermoz.

Il faut cependant des répétitions pour trouver le « nez rouge » de ces personnages, qu’ils ont fait avec talent. Le mélange des genres comédie – tragique repose sur la justesse d’incarnation et j’étais très bien servi par toute la distribution. Et ce mélange me paraît un bon reflet de ce que je ressens dans la vie de tous les jours. Ces montagnes russes émotionnelles donnent une épice particulière à ce genre de films.   

Comment avez-vous abordé la question de la reconstitution historique ?
 Intellectuellement, énormément de lectures : Erich Maria Remarque, presque tous ses livres, La Peur de Gabriel Chevallier, Orages d’acier d’Ernst Jünger, Les Croix de bois de Roland Dorgelès, Le Feu d’Henri Barbusse, tous les récits autobiographiques de Maurice Genevoix, et pléiade d’autres livres. Mais aussi énormément de films d’époque dont quelques-uns revus avec beaucoup d’insistance dont les deux adaptations A l’ouest rien de nouveau de Lewis Milestone et Les Croix de bois de Raymond Bernard.

Mais aussi Les Ailes de William Wellman, Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, ainsi que moult documentaires dont le spectaculaire Apocalyspe 1ère guerre mondiale dont j’ai sollicité un des coloristes pour la colorisation de ce film. Puis des livres-album de l’époque dont Brassaï (on a même reconstitué une de ses photos pour la scène dite de la Place Blanche). Visuellement avec Cédric Fayolle, créateur des VFX sur ce film. C’est la 1ère personne que j’ai contactée, avant même d’avoir écrit le scénario. Il s’agissait de « mentir » au public pendant plus de 2 heures. Il s’est prêté au jeu avec délectation et enthousiasme. Sur la base de mon storyboard, de photos, de suggestions, de décors repérés et validés, il a créé cet univers lointain que sont les années 20.

Quelques performances à saluer : le rapatriement des soldats, filmé depuis une gare déserte à Versailles et la scène finale au Maroc tournée… sur le parking du studio. La qualité du travail est telle que parfois je n’arrivais plus à distinguer le vrai du faux. Par ailleurs je lui ai confié la réalisation de la seconde équipe et je lui dois quelques plans très réussis.

Pourquoi Laurent Lafitte pour interpréter Pradelle ?
De façon idéale, je cherchais un Vittorio Gassman français, mélangeant humour, tragique et noirceur. Laurent me paraissait idéal. Au-delà de ses grandes qualités d’acteur, son Pradelle est réussi car j’ai eu le sentiment qu’il jubilait dans son personnage.

Il a apporté un soin extrême à sa silhouette et s’est fondu avec délectation dans un jeu distancié, froid, rigoureux, précis. De ce monstre, il a sorti quelques pépites, dont le geste terrible de sucer les larmes de Pauline (Mélanie Thierry), poussant enfin Maillard à l’affronter. En fait, sa force d’acteur est de ne pas juger moralement ses personnages. Cela lui donne une grande liberté de jeu.   

Pour finir, un mot sur votre personnage, Albert Maillard ?
Sur ce film, il n’était pas du tout prévu que je joue le rôle d’Albert Maillard. Un de mes acteurs favoris, pressentis depuis presque un an, devait endosser le rôle. Mais à quelques mois du tournage, en surmenage, il m’a avoué ne pas pouvoir participer à l’aventure. Je me suis lancé dans un casting frénétique mais beaucoup d’acteurs pressentis étaient déjà pris.

Quant aux autres, j’ai croisé beaucoup de grands talents et pas vraiment ce que je cherchais. Je me suis donc résolu par nécessité plus que par désir à interpréter ce rôle. Le surcroît de fatigue a été réel mais me calant sur le jeu et l’écoute des autres acteurs du film, petit à petit, Albert Maillard a fini par naître.

Par ailleurs le fait de jouer et de réaliser crée souvent un effet « Pont d’Arcole » et j’ai le sentiment que les acteurs s’impliquent davantage quand le metteur en scène est aussi l’un des leurs.

Comédie dramatique d'Alert Dupontel avec Laurent Lafitte, Niels Arestrup, Mélanie Thierry. 4,5 étoiles AlloCiné.


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