Les oubliés

1945. Danemark. Fin de la Seconde Guerre Mondiale. Plusieurs soldats allemands, à peine sortis de l’adolescence, sont faits prisonniers par l’armée danoise et envoyés en première ligne pour désamorcer les mines enfouies le long de la côte. Pour eux, la guerre est loin d’être terminée. Inspiré de faits réels, Les Oubliés raconte cet épisode tragique de l’Histoire..

 

Entretien avec Martin Zandvliet, le réalisateur
Je souhaitais révéler une histoire s’inspirant de faits historiques qui ne sont franchement pas à la gloire du Danemark. Jusqu’ici, la plupart des historiens ont évité d’aborder le sujet, sans doute de manière bien compréhensible.

Je n’ai pas cherché à désigner un coupable ou à stigmatiser qui que ce soit. Il était intéressant de réaliser un film qui ne fasse pas toujours passer les Allemands pour des monstres. C’est l’histoire d’un camion militaire rempli de jeunes soldats allemands qui ont été sacrifiés dans l’immédiat après-guerre. Pourtant, au bout du compte, c’est surtout un film sur des êtres humains. Il nous embarque dans un périple qui va de la haine au pardon. J’avais l’intention de raconter une histoire toujours d’actualité qui permette aux spectateurs de ressentir la force de la peur, de l’espoir, du rêve, de l’amitié et le combat pour la survie à travers un petit groupe de personnages.

La proposition des Anglais de recourir à des prisonniers de guerre allemands pour des opérations de déminage a placé le gouvernement danois face à un dilemme politique. Décliner cette proposition aurait été une décision très impopulaire aux yeux de l’opinion publique danoise et des pays alliés voisins. La réputation du Danemark était encore ternie dans l’immédiat après-guerre. Et les Anglais faisaient figures de parfaits héros : ils avaient libéré le Danemark. Néanmoins, en acceptant de contraindre de jeunes prisonniers de guerre allemands à déminer les côtes du pays, on peut considérer que le Danemark a commis un crime de guerre.

Je voulais que ce drame réaliste se déroule dans un cadre magnifique et idyllique abîmé par des bunkers de béton et les détonations quotidiennes des mines. La saison estivale, le sable, les dunes, le temps ensoleillé et la présence de l’eau rappelaient en permanence la vie merveilleuse qu’on avait pu connaître ici et qui renaîtrait un jour de ce chaos. Tout comme les milliers de mines, d’explosions, de morts et de larmes, ces éléments nous confrontent brutalement à l’immédiat après-guerre.

 En travaillant avec ma femme, la directrice de la photo Camilla Hjelm Knudsen, qui a éclairé le film, on s’est aperçu qu’on était profondément marqués par le style visuel du cinéma des années 60. Il s’agissait de trouver le bon équilibre entre poésie et tragédie. Il fallait que les décors soient aussi beaux que possible pour pouvoir supporter l’horreur du spectacle à l’écran.

L’essentiel du film se déroule en plein jour, ce qui tranche avec la noirceur des personnages. Je trouve mon inspiration chez des artistes comme David et Albert Maysels. La manière dont les frères Maysels filment leurs acteurs, avec vulnérabilité et sensualité, est telle qu’il est impossible de ne pas ressentir la présence des personnages. C’est un phénomène rare et magnifique. Il n’y a alors pas de place à quelque analyse intellectuelle que ce soit. Cela ne peut se produire que lorsqu’on s’identifie totalement aux personnages et à l’atmosphère de la scène.

Ce que je voulais, c’était donner le sentiment d’un élan vital. Je ne souhaitais pas que la caméra se fasse remarquer mais que le spectateur puisse s’attacher aux comédiens. Les personnages m’ont toujours davantage intéressé que l’intrigue.

On a eu la chance de travailler avec des directeurs de casting qui nous ont permis d’éviter d’avoir des acteurs trop stéréotypés. Nous avons engagé les garçons sans leur dire pour quel rôle ils avaient été choisis. J’ai retenu ceux qui me semblaient s’imposer pour tel ou tel personnage. C’étaient tous des débutants – ou plutôt, des non-professionnels. L’avantage, c’est qu’on peut les façonner et les modeler selon ses besoins et orienter leur jeu selon ses désirs. C’était même le cas du personnage principal puisque c’était le premier grand rôle de Roland au cinéma.

La plupart des réalisateurs préfèrent que leurs acteurs soient beaux – autrement dit, qu’ils n’aient aucun défaut. Mais j’ai toujours considéré que les êtres humains sont plus intéressants quand on peut déceler leur histoire. Cela ne me pose pas de problème que l’angoisse d’un personnage soit palpable, qu’on voie ses cicatrices et qu’on perçoive ses démons intérieurs. Je ne cherchais pas de complaisance dans la laideur même si je pense que la laideur nous en dit plus sur notre identité d’êtres humains que n’importe quoi d’autre.

Il s’agit d’un film très humain qui non seulement explore la beauté de la face obscure des êtres mais qui s’attache aussi à découvrir qui sont ces jeunes Allemands. On partage leurs espoirs et on prie pour qu’ils puissent survivre à ce cauchemar. On espère qu’ils pourront redevenir des êtres humains même si l’on condamne le régime politique violent auquel ils ont appartenu. En un sens, on pose la question suivante : «Est-ce possible de témoigner de l’empathie pour des individus qui incarnent la terreur du régime nazi ?»

On dit souvent que la force d’un drame repose sur le charisme de l’antagoniste. Selon moi, il s’agit de l’homme qui envoie les garçons à la mort qui est la véritable incarnation de la haine dans le film. Tout comme ces jeunes soldats, on s’attache à leur gardien, le sergent Carl. Pour Carl, les monstres se transforment en êtres humains.

À mes yeux, LES OUBLIÉS raconte une histoire humaine fondamentale, méconnue de la plupart des Danois. On a soigneusement évité de la raconter. On l’a oubliée, ce qui était bien commode. On l’a censurée. C’est un film qui parle de vengeance et de pardon. C’est l’histoire d’une bande de garçons contraints de se racheter au nom de toute une nation.

Drame de Martin Zandvliet. Nommé aux Oscar 2017 pour le meilleur film étranger. 4,3 étoiles AlloCiné.


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