Hedi, un vent de liberté

Kairouan en Tunisie, peu après le printemps arabe. Hedi est un jeune homme sage et réservé. Passionné de dessin, il travaille sans enthousiasme comme commercial. Bien que son pays soit en pleine mutation, il reste soumis aux conventions sociales et laisse sa famille prendre les décisions à sa place. Alors que sa mère prépare activement son mariage, son patron l’envoie à Mahdia à la recherche de nouveaux clients. Hedi y rencontre Rim, animatrice dans un hôtel local, femme indépendante dont la liberté le séduit. Pour la première fois, il est tenté de prendre sa vie en main... 

Note d’intention du réalisateur à propos de Hedi
« Hedi » signifie « calme », « serein ». Si ce mot s’est imposé pour le titre du film, c’est bien sûr parce qu’il désigne le personnage principal, mais aussi la situation dans laquelle il se trouve au début de l’histoire. Hedi, c’est le calme avant la tempête. Comme beaucoup de jeunes Tunisiens, Hedi est confronté aux stigmates de la tradition. Dans son cas, c’est à travers son mariage imminent avec Khedija, une jeune femme elle aussi écrasée sous le poids des coutumes et de la religion. Mon idée initiale était de raconter l’histoire d’un jeune homme déchiré entre deux mondes, entre deux voies différentes, qui peuvent chacune définir sa vie.

À cette période, en Tunisie, nous vivions nos premières élections démocratiques et nous apprenions surtout à nous découvrir. Sous la présidence de Ben Ali, la censure politique avait fini par nous anesthésier et corrompre tout ce qui nous entourait. Tout comme Hedi au début du film, nous essayions de vivre nos vies sans nous poser trop de questions. À partir de là, le parallèle entre le parcours du jeune homme et ce qui se passait dans mon pays paraissait évident. Il devenait donc essentiel pour moi de centrer l’histoire que j’imaginais sur le personnage de Hedi. Alors, le rapprochement entre Hedi et la situation de la Tunisie a pratiquement dicté les traits de sa personnalité et la façon dont je voulais le montrer à l’écran.

À travers sa rencontre avec Rim, Hedi apprend sur lui-même, sur ses rêves, mais aussi sur ses limites. Je dois admettre que je suis plus enclin à parler d’individus faussement « ordinaires » qui s’avèrent de plus en plus intéressants, que de « héros » typiques, dans le sens communément admis du terme. 

À propos de la liberté et des prises de décisions
Contrairement à Hedi, Khedija, la femme qu’il compte épouser, n’a aucun moyen d’échapper au poids de la tradition. Elle a été programmée, depuis la naissance, pour atteindre les objectifs de base que sont le mariage et la fondation d’une famille. Jamais elle n’a imaginé une vie différente de celle qu’on lui a dictée. Ce n’est pas une femme soumise, dans le sens de « victime d’oppression », mais c’est une femme sous influence.

Tout comme Hedi, elle a grandi dans un environnement peu propice aux rencontres et à l’acceptation de la différence. Mais elle accepte son sort sans poser de questions. Même si à certains égards, Rim peut être l’opposé de Khedija, il serait trop simpliste de la définir comme telle. On ne peut pas réduire la féminité en Tunisie à ces deux aspects, mais on peut dire qu’ils représentent deux extrêmes. Pour Hedi, c’est une chance de rencontrer quelqu’un comme Rim et de découvrir une autre façon de voir la vie. En revanche, Khedija n’a pas cette chance. La place de Hedi au sein de sa famille contribue également à rendre sa trajectoire plus complexe.

Le fait d’être un homme coincé entre sa mère Baya et son frère aîné Ahmed participe à sa façon d’être. Dès le début, le contraste entre les deux frères paraît évident. Mais alors que l’histoire progresse, nous comprenons qu’aucun d’eux n’est capable d’être responsable de ses choix. Même si Ahmed semble satisfait de la place qu’il occupe – le fils préféré vivant une existence prospère à l’étranger – lui aussi est déchiré entre ses obligations familiales et son épanouissement personnel.  Et même si, en tant que cadet, Hedi est pratiquement sous contrôle et en position de dominé, il trouve une zone de liberté à travers ses dessins. Quand il dessine, il se retrouve, il est lui-même.

Peu importe qu’il soit pris pour un rêveur, ça lui est égal. Il laisse les autres penser ce qu’ils veulent et ne ressent pas le besoin de changer l’image qu’ils se font de lui. Grâce à ses dessins, il parvient à se créer des bulles d’air frais, jusqu’au jour où il rencontre Rim, animatrice dans un hôtel. Leurs chemins se croisent, Hedi apprend à voir sa vie autrement et à dire non.

À propos de la Tunisie aujourd’hui
Délibérément imaginée comme une histoire d’amour – ou plutôt comme une « histoire de coup de foudre » dans laquelle la rencontre soudaine et instantanée des deux amants déconstruit l’existence du héros – cette histoire est tout d’abord et avant tout une analyse de la jeunesse tunisienne après la révolution, de la chute de Ben Ali et de ce que le monde entier a appelé « le printemps arabe ».

Dans cette histoire, on ne voit ni armes, ni piquets de grève, ni manifestations. On ne montre pas de manifestants héroïques brandissant des pancartes et se ruant sur des barricades, offrant leur poitrine aux balles. Mon intention est plutôt de lever le voile sur la vie de ces jeunes gens 5 ans plus tard. Des jeunes qui s’efforcent de trouver leur voie, parfois en allant de l’avant, parfois en reculant. Où en sommes-nous aujourd’hui ? À quel stade en est notre pays ? Ce sont les deux questions fondamentales sous-jacentes à l’histoire.

À travers Rim et Ahmed, nous découvrons une jeunesse active mais déchirée, qui se voit obligée de quitter son pays pour trouver du travail. À travers Khedija, nous découvrons une partie passive et presque conventionnelle de notre jeune génération. À travers Hedi, nous découvrons une nouvelle jeunesse hésitante, qui se cherche, parfois tentée d’avancer et d’autres fois, cherchant qu’on la guide et ne voulant rien changer.

Comme beaucoup d’autres, Hedi tente de se libérer des traditions et de s’émanciper, mais a-til la personnalité requise ? Il choisira finalement de changer les choses de l’intérieur en ne quittant pas le pays. En racontant l’histoire de ces personnages qui essaient tous de faire ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, j’ai aussi voulu dresser le portrait de mon pays aujourd’hui. Mon pays connaît des lendemains difficiles. Il n’est plus bâillonné, mais en proie à une profonde crise sociale, religieuse et économique. Je sais que ma description est cynique, mais c’est une réalité que nous ne pouvons ignorer. Ces cinq dernières années, les hôtels ont fermé les uns après les autres.

Des villes, autrefois prospères grâce au tourisme, sont soudain devenues des villes fantômes. Mes personnages évoluent dans ce paysage sinistré et incarnent les errements de tout un pays. J’ai essayé de distiller ce sentiment en montrant des parkings déserts, des sociétés fonctionnant au ralenti, des plages et des piscines abandonnées, des hôtels licenciant leur personnel. Plus qu’un simple personnage, Hedi représente toutes ces situations. Il avance et recule par à-coups.

Drame Tunisien de Mohamed Ben Attia. Ours d'argent du meilleur acteur et prix du meilleur premier film à la Berlinale 2016. 3,8 étoiles AlloCiné.


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