Les fleurs bleues

Dans la Pologne d’après-guerre, le célèbre peintre Władysław Strzemiński, figure majeure de l’avant-garde, enseigne à l’École Nationale des Beaux Arts de Łódź. Il est considéré par ses étudiants comme le grand maître de la peinture moderne mais les autorités communistes ne partagent pas cet avis. Car, contrairement à la plupart des autres artistes, Strzemiński ne veut pas se conformer aux exigences du Parti et notamment à l’esthétique du « réalisme socialiste ». Expulsé de l'université, rayé du syndicat des artistes, il subit, malgré le soutien de ses étudiants, l’acharnement des autorités qui veulent le faire disparaître et détruire toutes ses œuvres...  

Note du réalisateur Andrzej Wajda
Je voulais filmer l'histoire d'un artiste, celle d’un peintre, depuis très longtemps.   J‘ai décidé d’adapter au cinéma l’histoire de Władysław Strzemiński, l’un des artistes  polonais les plus accomplis.  Je voulais également montrer son conflit avec l’État socialiste.  Strzemiński a beaucoup travaillé sur l'art moderne et a exposé sa pensée dans le livre  intitulé Théorie de la Vision. Ses fortes convictions artistiques et notamment celles  concernant l’art abstrait, lui ont donné la force de résister aux autorités communistes.

LES FLEURS BLEUES est le portrait d'un homme intègre - un homme confiant dans ses choix ; un  homme dont la vie a été dédiée à un pan de l'art exigeant. C’était un enseignant  exceptionnel et l’un des fondateurs du Musée d’Art Moderne de Łódź en 1934, le musée  ayant la deuxième plus grande collection d’œuvres au monde. Le film dépeint quatre dures années de 1949 à 1952, lorsque la soviétisation de la Pologne  a pris sa forme la plus radicale et que le réalisme socialiste est devenu la forme artistique  obligatoire.    

Le contexte historique du film, par Jean-Yves Potel Historien, docteur en sciences politiques, spécialiste de la Pologne
Le récit d’Andrzej Wajda commence l’été 1948, à Nowa Ruda (en Basse-Silésie). Le peintre  Władysław Strzemiński y tient ses fameux ateliers en plein air avec les étudiants de la  nouvelle école des arts plastiques de Łódź, où il enseigne depuis 1945. En décembre, on  entend à la radio la retransmission du congrès de fondation du Parti ouvrier unifié polonais  (POUP). Cet événement symbolise le début de la période stalinienne (1948-1956) de la  Pologne socialiste. 

Durant ce congrès, tous les partis de gauche, dont les communistes ont pris le contrôle,  sont absorbés en un parti « unifié ». Lequel devient, avec l’appui de l’Union soviétique de  Staline, un parti-Etat. Il encadre la société, secondé par une justice aux ordres et surtout  par une police politique, les services de sécurité (tristement célèbres sous leurs seules  initiales : UB). En signifiant la fin du multipartisme et des libertés civiques, ce congrès clôt  une période démocratique instable.  A la conférence de Yalta (février 1945), les Alliés avaient réglé le sort de la Pologne qui  sortait d’une guerre particulièrement meurtrière (17% de la population civile assassinée  dont trois millions de Juifs). Le processus d’autodétermination démocratique décidé est  manipulé par les hommes de Staline. Le dictateur entend conserver dans son orbite un  pays et une population qui ne lui sont pourtant pas acquis.

Durant cette période  stalinienne, les communistes engagent une industrialisation forcée et la collectivisation de  l’agriculture, dans le cadre d’une économie planifiée. Les résultats sont mitigés, n’évitant  pas de fréquentes pénuries alimentaires, un mécontentement social et finalement des  révoltes populaires (juin-octobre 1956). Les communistes entendent également mettre la  culture au pas : l’Eglise catholique est persécutée, les intellectuels et les artistes doivent  promouvoir le régime ou se taire. Beaucoup seront arrêtés et emprisonnés. Le destin du  personnage central de ce film, Władysław Strzemiński (1893-1952), incarne le choc entre la  liberté artistique et le pouvoir totalitaire. Thème familier de la vie et de l’œuvre d’Andrzej  Wajda (qui étudia la peinture en 1946 à l’école des Beaux Arts de Cracovie).

Avec sa femme, Katarzyna Kobro (1898-1951), Strzemiński est un des initiateurs de l’art  moderne dans la Pologne des années vingt et trente. Le couple s’est rencontré en 1915  dans un hôpital. Lui, blessé sur le front a dû être amputé de la jambe droite et de l’avant-bras  gauche ; elle, jeune fille de bonne famille est une infirmière qui rêve de devenir  artiste. Ils se retrouvent plus tard dans l’atelier de Kazimierz Malevitch à Moscou, et fondent  en 1929, en Pologne, un groupe d’artistes constructivistes « a-r », avec deux poètes dont  Julian Przyboś (1901-1970) que l’on aperçoit dans le film.

Ils commencent à réunir en 1929 une des premières collections d’art moderne en Europe, 75 œuvres (notamment Kandinsky, Léger, Lurçat, Arp, Hélion, Hiller, Chwistek ou Picasso)  présentées à partir de 1931 dans le Musée de Łódź. Les deux « artistes révolutionnaires »  occupent une place à part dans la production de la Pologne de l’entre deux guerres. Kobro s’impose avec des sculptures aux formes pures, des compositions architectoniques,  tandis que Strzemiński cherche à éliminer l’espace dans ses peintures abstraites, travaillant  sur quelques couleurs et la décomposition de la lumière. Ils publient une série de textes  théoriques et acquièrent une réputation internationale.   

En 1936, Katarzyna Kobro donne naissance à leur fille Nika Strzemińska (1936-2001). Le  couple passe l’essentiel de la guerre à Łódź dans le froid, la misère et la faim. Leurs  relations se gâtent, passent selon leur fille, de l’amour passionné à la haine. Ils se séparent  en 1947. Kobro meurt en 1951, totalement oubliée. Elle s’était pourtant remise à la sculpture après dix ans d’arrêt (les pièces que conserve Nika dans le film).

Strzemiński a  composé plusieurs « cycles » pendant la guerre, dont une série de collages A mes amis  juifs, aujourd’hui conservée à Yad Vashem (on la voit dans le film). Il retrouve un  enseignement à la nouvelle école d’arts qu’il contribue à fonder, et reprend des activités  artistiques avec la jeune génération et ses vieux amis comme Przyboś. Il publie ses  conférences. Le directeur du musée d’art moderne, Marian Minich (1898-1965), lui  propose de décorer une « salle néo-plastique » pour mettre en valeur les œuvres  constructivistes, dont les siennes et celles de Kobro. 

Strzemiński se heurte très vite à la politique culturelle du POUP. Elle est incarnée par Włodzimierz Sokorski (1908-1999), le ministre présent dans le film. Communiste stalinien  de la première heure, général de brigade, toujours du côté du manche (il finira sa carrière  auprès du général Jaruzelski), il se veut théoricien du réalisme socialiste que l’on raillait, en  jouant sur son nom. On disait le sokorealism…

Strzemiński est licencié de l’école qu’il a crée, ses œuvres et celles de Kobro retirées du Musée, et la « salle néo-plastique » détruite par des nervis de l’UB et repeinte en blanc (1950). Les dernières années, devenu étalagiste dans un magasin de vêtements, Strzemiński rédige une « théorie de la vision ». Il  s’intéresse particulièrement à ce qui s’imprime sur la rétine, ce qui reste « après l’image  vue » : powidoki (titre polonais du film de Wajda qui prend un sens métaphorique).

Il meurt de la tuberculose le 26 décembre 1952, banni par les autorités. Dès 1956-1957, les deux artistes seront réhabilités, leurs œuvres exposées en Pologne et  dans le monde, leurs textes publiés.  

Biopic polonais d'Andrzej Wajda. 4 étoiles AlloCiné.


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr