Un diminution des profits ne constitue pas un acte anormal de gestion

Une société qui achète et distribue des livres avait acheté des livres via un intermédiaire irlandais. Suite à une vérification de comptabilité, l’administration contestait la déduction des charges liées à ces achats, considérant qu’ils constituaient un acte anormal de gestion car cet achat à la société irlandaise n’apportait pas de valeur ajoutée, les livres achetés pouvant être acquis sans intermédiaire et à moindre coût directement auprès de ses fournisseurs. La Cour administrative d’appel a donné tort à l’administration. En effet, la seule circonstance que la société vérifiée aurait pu réaliser un profit supérieur ne saurait être, en soi, une gestion contraire aux intérêts de l'entreprise, dès lors que les ouvrages acquis ne l'ont pas été pour une valeur intrinsèque excessive...

Jugement de Cour administrative d'appel de Lyon, du 11 avril 2017, n° 15LY02407.

«  AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS 

Vu la procédure suivante : 

Procédure contentieuse antérieure 

La SAS de Borée Distribution a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer la décharge de cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007, 2008 et 2009.

Par un jugement n° 1400273 du 19 mai 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a réduit de 36 244 euros le résultat de l'exercice de la SAS de Borée Distribution clos en 2009 et l'a déchargée à raison de cette réduction, et rejeté le surplus de la demande. 

Procédure devant la cour 

Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés respectivement les 15 et 16 juillet 2015, la SAS de Borée Distribution, représentée par MeA..., demande à la cour : 

1°) de réformer ce jugement du 19 mai 2015 en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de la décharger de ces impositions et pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) d'enjoindre à l'administration de produire les pièces recueillies dans le cadre de l'assistance administrative internationale ; 

Elle soutient que :

- l'administration, qui n'a pas produit les éléments portés à sa connaissance dans le cadre de l'assistance administrative internationale, n'établit pas qu'elle se serait livrée à un acte anormal de gestion en achetant des ouvrages auprès de la société Blue Earths Publishers ; l'administration invoquant le caractère fictif des relations commerciales entre la SAS de Borée Distribution et la société Blue Earths Publisher, elle devait mettre en œuvre la procédure prévue à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, ce qu'elle s'est abstenue de faire ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ; l'administration a changé de motif de redressement en cours de procédure sans lui laisser la possibilité de s'exprimer sur le nouveau motif retenu ;

- les diverses provisions remises en cause par l'administration sont parfaitement justifiées ;

- les marges réalisées sur les ventes réalisées avec la société Blue Earth Publishers étant particulièrement rentables, il n'y avait aucun acte anormal de gestion à travailler avec cette société ; il n'est pas davantage démontré que l'acquisition du droit de distribuer et commercialiser des livres auprès de cette société aurait été fictive ; ladite société agissant en qualité d'intermédiaire opaque, il n'est pas anormal que les produits qu'elle comptabilise ne correspondent pas aux ventes avec la SAS de Borée Distribution, lesquelles sont comptabilisées chez le mandant de la société Blue Earths Publishers ; que les factures libellées au nom de la société Blue Earths Publishers étaient, ainsi, déductibles en tant que charges ; qu'elle n'a pas agi en qualité d'éditeur mais en qualité de distributeur ;

- l'administration n'ayant pas démontré l'existence d'un acte anormal de gestion, les sanctions appliquées pour manquement délibéré et pour manœuvres frauduleuses ne sont pas justifiées. 

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 janvier 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête. 

Il soutient que :

- la proposition de rectification est suffisamment motivée ; ayant seulement modifié la méthode d'évaluation du redressement, sans en changer le fondement légal, l'administration fiscale n'avait pas à notifier une nouvelle proposition de rectification ;

- elle a transmis à la requérante les résultats de l'assistance administrative et le moyen tiré d'un défaut de transmission de ces pièces manque ainsi en fait ;

- l'existence d'un acte anormal de gestion est avérée compte tenu de l'ensemble des éléments qu'elle a recueilli et permettant de démontrer l'absence de plus-value apportée par la société Blue Earths Publishers aux ouvrages acquis auprès des fournisseurs. 

Par ordonnance du 9 septembre 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 18 octobre 2016. 

Vu les autres pièces du dossier ; 

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; 

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vinet,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public ;

1. Considérant que la SAS de Borée Distribution, qui exerce une activité de diffusion, distribution et négoce de livres, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité réalisée du 9 septembre 2010 au 22 novembre 2011 portant sur les exercices clos aux 31 décembre 2007, 2008 et 2009 ; qu'une proposition de rectification interruptive de prescription en date du 23 décembre 2010 portant sur l'exercice 2007 lui a été notifiée le 27 décembre suivant ; que, contestés par la société le 25 février 2011, les redressements à l'impôt sur les sociétés de cet exercice ont été confirmés partiellement par l'administration par courrier du 8 juin 2012 valant réponse aux observations du contribuable ; qu'une seconde proposition de rectification a été adressée à la SAS de Borée Distribution le 23 décembre 2011 portant sur les exercices clos en 2008 et 2009 ; qu'en réponse aux observations du contribuable formées le 27 février 2012, l'administration a maintenu en totalité les rehaussements à l'impôt sur les sociétés concernant ces deux derniers exercices par courrier du 8 juin 2012 ; que les impositions supplémentaires résultant de ces rehaussements ont été mises en recouvrement le 8 avril 2013 ; que, par une réclamation contentieuse du 12 juin 2013, la SAS de Borée Distribution a contesté la totalité des impositions supplémentaires mises à sa charge ; qu'en l'absence de décision prise par l'administration dans le délai de six mois, elle a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand afin d'obtenir la décharge de ces impositions et des majorations y afférentes ; qu'elle relève appel du jugement du 19 mai 2015 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a réduit de 36 244 euros le résultat de l'exercice de la SAS de Borée Distribution clos en 2009, l'a déchargée à raison de cette réduction, en tant qu'il a rejeté le surplus de la demande ;

Sur les conclusions aux fin de décharge des impositions litigieuses :

2. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. / Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. / Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais / (...) 5 ° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. Toutefois, ne sont pas déductibles les provisions que constitue une entreprise (...) " " ; que si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; que le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;

S'agissant de l'acte anormal de gestion :

3. Considérant qu'en vertu des principes rappelés au point précédent, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ses demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ;

4. Considérant que pour refuser à la SAS de Borée Distribution la déductibilité totale des factures acquittées auprès de la société irlandaise Blue Earths, l'administration se fonde sur la circonstance que la société irlandaise n'apportant pas de valeur ajoutée aux ouvrages livrés par ses fournisseurs, avec lesquels la SAS de Borée Distribution est en contact étroit, cette dernière aurait pu les acquérir à un coût moindre en contractant directement avec lesdits fournisseurs et a ainsi commis un acte anormal de gestion en ne retenant pas cette option ; que, ce faisant, elle ne remet pas en cause la réalité des opérations de vente matérialisées par les factures et les livraisons mais se borne à alléguer que la rémunération des biens ainsi acquis est excessive au regard du prix que la SAS de Borée Distribution aurait pu obtenir en retenant un autre choix de gestion ; qu'elle tâche, à cette fin de démontrer que la société Blue Earths n'exerce aucune activité d'édition et que la SAS de Borée Distribution traite directement avec les fournisseurs, lesquels lui livrent directement les ouvrages sans qu'ils transitent par l'Irlande ; que, toutefois, en admettant même que la SAS de Borée Distribution ait pu contracter directement avec les fournisseurs de la société Blue Earths sans l'intermédiaire de celle-ci, la seule circonstance que la SAS de Borée Distribution aurait ainsi pu réaliser un profit supérieur, ne saurait révéler, en soi, une gestion contraire aux intérêts de l'entreprise dès lors que les ouvrages acquis ne l'ont pas été pour une valeur intrinsèque excessive ; qu'en effet, il résulte de l'instruction que le coût d'acquisition des ouvrages achetés à la société Blue Earths n'est pas supérieur à celui des ouvrages achetés par la société de Borée Distribution à d'autres intermédiaires et que cette dernière réalise une marge au moins équivalente, voire supérieure, à celle qu'elle réalise dans le cadre d'autres opérations d'achat-revente ; qu'en se bornant à se prévaloir de l'absence de travail réel effectué par la société Blue Earths dans le cadre de ces opérations d'achat-revente, l'administration n'établit aucunement l'insuffisance de la contrepartie obtenue en échange du paiement du prix des ouvrages acquis auprès de cette société, et, partant, le caractère anormal des actes de gestion de la société de Borée Distribution ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés par la SAS de Borée Distribution concernant ces rehaussements, qu'il y a lieu de réduire les rectifications apportées au résultat imposable de la société requérante au titre des trois exercices en litige à hauteur de la part des factures dont la déductibilité a été rejetée au motif ci-dessus explicité ;

S'agissant des provisions :

6. Considérant que pour l'application du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts précité, une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ;

7. Considérant que, pas plus en en appel qu'en première instance, la SAS de Borée Distribution n'est en mesure de justifier le montant de la provision pour dépréciation de créance constituée au titre de l'exercice clos en 2009 pour un montant de 47 049,60 euros, seulement admise par l'administration pour un montant de 15 939 euros ; qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la requérante sur ce point par les mêmes motifs que ceux retenus par le tribunal administratif ;

S'agissant des pénalités :

8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 4 que la SAS de Borée Distribution doit être déchargée des pénalités pour manquement délibéré et pour manoeuvres frauduleuses qui lui ont été infligées au titre des exercices clos en 2007, 2008 et 2009 du fait de la remise en cause de la déductibilité d'une partie des factures acquittées auprès de la société Blue Earths ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner la production des éléments recueillis par l'administration dans le cadre de sa demande d'assistance administrative internationale, que la SAS de Borée Distribution est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a refusé de réduire les rectifications apportées aux résultats des exercices clos en 2007, 2008 et 2009, respectivement à hauteur des sommes de 590 661,89 euros, 1 386 498 euros et 444 004 euros, et en conséquence, a rejeté ses conclusions tendant à la décharge des droits et pénalités y afférents ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS de Borée Distribution dans l'instance et non compris dans les dépens ; 

DECIDE :

Article 1er : Les bases de l'impôt sur les sociétés de la SAS de Borée Distribution sont réduites à hauteur de 590 661,89 euros pour l'exercice clos en 2007, 1 386 498 euros pour l'exercice clos en 2008 et 444 004 euros pour l'exercice clos en 2009.

Article 2 : La SAS de Borée Distribution est déchargée des droits et pénalités correspondant à la réduction de ses bases d'imposition prononcée à l'article 1er.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 19 mai 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la SAS de Borée Distribution au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. 

Article 5 : Le surplus des conclusions de la SAS de Borée Distribution est rejeté. 

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à la SAS de Borée Distribution et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2017, à laquelle siégeaient : 

M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président assesseur,
Mme Vinet, premier conseiller. 

Lu en audience publique le 11 avril 2017. »

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