Objectifs irréalisables : le salarié obtient la résiliation judiciaire de son contrat

Une société met en place dans son entreprise un nouveau mode de commercialisation. Celui-ci a pour conséquence de modifier de façon importante l’assiette servant de calcul à la part variable de la rémunération et d’augmenter sensiblement les objectifs. Pour la Cour de cassation, en fixant des objectifs irréalisables,  l’employeur a rendu impossible la poursuite du contrat de travail… 

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale du 6 octobre 2016.
Pourvoi n° 15-15672. 

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant : 

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée le 12 août 1996 en qualité de Support Logiciels par la société Sage et qu'elle occupait, en dernier lieu, les fonctions d'ingénieur commercial ; que réclamant le paiement de primes sur objectifs, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 22 juin 2011, sollicitant par la suite la résiliation judiciaire de son contrat de travail ; qu'elle a été licenciée pour insuffisance professionnelle le 22 novembre 2011 ; 

Sur le premier moyen : 

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur à la date du 23 novembre 2011 et de le condamner au paiement de diverses sommes dont un rappel de commissions sur objectifs, alors, selon le moyen : 

1°/ que lorsque les modalités de calcul de la rémunération variable sont fixées unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut modifier les objectifs assignés au salarié dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la salariée ne pouvait pas se prévaloir de la contractualisation des objectifs et que dans le cadre de son pouvoir de direction et de gestion, l'employeur avait la faculté de déterminer la part variable de la rémunération de ses salariés en fonction d'objectifs déterminés unilatéralement dès lors qu'ils étaient réalistes et réalisables ; que cependant la cour d'appel a retenu ensuite que les objectifs n'étaient pas réalisables et que le contrat de travail de Mme X... avait été modifié au prétexte que pour 2011, le commissionnement des commerciaux ne se ferait plus à hauteur de 100 % du coût de la licence des logiciels vendus, ce qui aurait entraîné une baisse sensible de la rémunération variable, sauf à s'efforcer de vendre davantage ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la modification des objectifs imposés aux salariés et de son incidence sur la rémunération, la cour d'appel, à qui il appartenait seulement de déterminer si le plan de rémunération litigieux fixait des objectifs réalisables, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du travail ; 

2°/ que lorsque les modalités de calcul de la rémunération variable sont fixées unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut modifier les objectifs assignés au salarié dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la salariée ne pouvait pas se prévaloir de la contractualisation des objectifs et que dans le cadre de son pouvoir de direction et de gestion, l'employeur avait la faculté de déterminer la part variable de la rémunération de ses salariés en fonction d'objectifs déterminés unilatéralement dès lors qu'ils étaient réalistes et réalisables ; qu'en omettant cependant de caractériser en quoi les objectifs assignés pour 2011 n'étaient pas réalisables compte tenu notamment du contexte commercial et du coefficient de saisonnabilité dont la cour d'appel a elle-même constaté qu'il avait été mis en place dès le mois de novembre 2010, soit en même temps que le plan de commissionnement, afin de pallier les retards dans la migration des clients vers la souscription des nouveaux logiciels, quand l'employeur montrait que, dans le cadre de l'application du plan de commissionnement 2011, la majorité des commerciaux avaient pu remplir une grande part de leurs objectifs annuels dès le premier semestre et qu'en définitive la rémunération variable annuelle, y compris pour Mme X..., avait augmenté en 2011 bien que son montant à objectifs atteints devait être le même qu'en 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du travail ; 

3°/ que les juges du fond sont tenus de préciser l'origine de leurs renseignements ; qu'en affirmant péremptoirement qu'au cours de l'année 2011 la direction avait eu recours à un système de bonus afin de corriger artificiellement le plan de commissionnement sans dire sur quels éléments de preuve elle se fondait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 

4°/ que les juges du fond ne peuvent pas dénaturer les écrits soumis à leur appréciation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a cru pouvoir affirmer que « l'examen de la pièce 17 de la société Sage relative aux rémunérations variables des commerciaux sur l'exercice 2010/ 2011 (1er semestre) révèle que trois commerciaux (Messieurs Y..., Z... et B...) ont réalisé un chiffre d'affaires de respectivement 6446 €, 10 033 € et 3349 €, résultats nettement inférieurs à l'exercice précédent dont la moyenne avoisinait 19 000 € » ; que cependant les chiffres relevés par la cour d'appel étaient ceux de la rémunération variable du premier semestre 2011 et non du chiffre d'affaires 2011, outre que ces chiffres étaient en augmentation pour huit salariés sur onze, y compris pour M. Z... et Mme X... ; qu'il en résulte que la cour d'appel a dénaturé la pièce n° 17 et a méconnu le principe faisant interdiction aux juges de dénaturer les documents de la cause ; 

5°/ que la résiliation judiciaire d'un contrat de travail aux torts de l'employeur suppose un manquement suffisamment grave de sa part de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail ; qu'elle ne peut donc pas être prononcée lorsque, malgré le manquement de l'employeur, la relation de travail a perduré de nombreux mois ; qu'en jugeant en l'espèce que l'employeur avait commis un manquement d'une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail et justifier ainsi la résiliation du contrat de travail à ses torts, sans prendre en compte, comme elle y était invitée, le fait que Mme A...avait continué à exercer son activité professionnelle sans difficulté pendant plus d'un an, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1184 du code civil, L. 1231-1 et L. 1231-2 du code du travail ; 

Mais attendu que lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice ; 

Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la modification du plan de commissionnement des commerciaux fixant un coefficient de 35 à 39 % du prix du logiciel vendu, alors même que les plans antérieurs prévoyaient un coefficient de 100 % de la licence vendue, avait entraîné une baisse de la part variable de la rémunération de la salariée et que pour corriger artificiellement ce nouveau plan, la direction a eu recours durant l'année 2011 a un système de bonus, a estimé, sans encourir les griefs du moyens, que les nouveaux objectifs fixés n'étaient pas réalisables sans application d'un correctif important, ce dont elle a pu déduire que l'employeur avait commis un manquement d'une gravité suffisante rendant impossible la poursuite du contrat de travail, justifiant ainsi la résiliation judiciaire à ses torts ; 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; 

Sur le deuxième moyen : 

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de sommes au titre du rappel de commissions sur objectifs, alors, selon le moyen : 

1°/ que lorsque le juge écarte les objectifs fixés par l'employeur pour une année parce qu'il les regarde comme irréalisables, il ne peut pas déterminer la rémunération variable due au salarié au regard des modalités de calcul qui avaient été fixées pour l'année antérieure sans vérifier qu'elles peuvent encore s'appliquer ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir qu'il n'était pas possible d'appliquer en 2011 les modalités de détermination de la rémunération variable fixées pour 2010 compte tenu de la modification des produits commercialisés : il n'était plus proposé au client d'acquérir des licences annuelles, mais de payer plusieurs années durant un « loyer » représentant 0, 35 % de la licence, si bien qu'il ne pouvait être question de commissionner les commerciaux sur une somme supérieure, non encaissée par l'entreprise ; qu'en faisait néanmoins application du plan de commissionnement 2010 pour accorder un rappel de rémunération à Mme X... totalement sans rapport, tant avec le chiffre d'affaires de l'entreprise, qu'avec son niveau habituel de rémunération variable qui était de l'ordre de 22 500 euros en 2010, sans à tout le moins s'expliquer sur la compatibilité entre l'ancien plan de commissionnement et les nouvelles modalités de commercialisation dont elle avait elle-même relevé l'existence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du travail ; 

2°/ que s'il est constaté que les objectifs assignés à un salarié ne sont pas réalisables, le rappel de rémunération variable accordé ne peut excéder le montant qui aurait été versé à objectifs atteints ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir que Mme X... devait percevoir à objectif atteint une rémunération variable inférieure à la somme qu'elle sollicitait alors même qu'elle avait déjà perçu 22 688 euros au titre de la rémunération variable 2011 ; qu'en accordant cependant à Mme X... un rappel de rémunération variable pour 2011 de 37 153 euros outre 14 402 euros pour la période préavis sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette somme n'était pas excessive au regard du montant de rémunération variable fixé à objectif atteint, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 1221-1 du code du travail ; 

Mais attendu qu'ayant constaté, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve, que les objectifs définis au contrat de travail n'étaient pas réalisables, la cour d'appel a, procédant à un examen comparatif de l'ancien plan de commissionnement et du nouveau plan duquel il ressortait, du fait de la reconstitution des chiffres d'affaires, l'existence d'un différentiel au préjudice de la salariée et qu'elle était donc fondée dans sa demande de rappel de salaires au titre des commissions sur objectifs, légalement justifié sa décision ; 

Mais sur le troisième moyen : 

Vu l'article 455 du code de procédure civile ; 

Attendu que, pour faire droit à la demande de la salariée, l'arrêt retient qu'il est constant que l'employeur s'est abstenu de régler spontanément la prime de vacances exigible en application de l'article 31 de la convention collective Syntec et qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris ayant condamné, à ce titre, l'employeur à verser une certaine somme ; 

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'employeur faisant valoir que la prime de treizième mois versée à la salariée constituait la prime de vacances prévue par l'article 31 de la convention collective applicable, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; 

PAR CES MOTIFS : 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'employeur à payer à la salariée la somme de 3 350 euros au titre de la prime de vacances, l'arrêt rendu le 27 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; 

Condamne Mme X... aux dépens ; 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille seize. »

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