Dernières nouvelles du cosmos

A bientôt 30 ans, Hélène a toujours l’air d’une adolescente. Elle est l'auteure de textes puissants à l’humour corrosif. Elle fait partie, comme elle le dit elle-même, d’un «lot mal calibré, ne rentrant nulle part». Visionnaire, sa poésie télépathe nous parle de son monde et du nôtre. Elle accompagne un metteur en scène qui adapte son œuvre au théâtre, elle dialogue avec un mathématicien... Pourtant Hélène ne peut pas parler ni tenir un stylo, elle n’a jamais appris à lire ni à écrire. C’est à ses 20 ans que sa mère découvre qu'elle peut communiquer en agençant des lettres plastifiées sur une feuille de papier. Un des nombreux mystères de celle qui se surnomme Babouillec… 

Entretien avec Julie Bertuccelli , la réalisatrice 

Pouvez-vous nous raconter votre expérience
Une première rencontre avec Hélène et sa mère Véronique, il y a 3 ans, après un spectacle de Pierre Meunier qu’elles venaient de voir. Une discussion qu’Hélène menait à l’aide de ses petites lettres plastifiées avec Pierre qui lui proposait de travailler autour d’Algorithme Eponyme, son dernier texte…

La découvrir ainsi avec stupeur puis imaginer leur travail à venir pour mettre en scène cette incroyable écriture, et voilà le désir intense de faire un film qui naît en moi. Je n’en reviens pas encore d’avoir pu croiser sur ma petite route Babouillec et son univers. Elle ne parle pas, mais elle entend et perçoit tout avec une intensité qui sidère ceux qui la rencontrent ou la lisent. Pas l’ombre d’un apitoiement mais un humour cinglant. La force, l’intelligence, la poésie et l’énigme de ses textes continuent à me subjuguer. Ses réponses quand j’ai commencé à la filmer, son regard qui vous transperce l’âme, ses rires communicatifs, son intuition et sa sensibilité remettent nos certitudes en question et nous font avancer vers une humanité plus grande. Hélène nous questionne sur la puissance du cerveau et les limites de l’être social.

Elle nous parle des échanges entre son monde intérieur, vaste et libre et notre monde trop occupé à tout mettre dans des cases. Je sais que ce qu’elle a encore à offrir est devant nous. Etre auprès d’elle, échanger avec elle, la lire, la regarder comprendre le monde de sa manière si personnelle, mais aussi jouir de la vie et de ses perceptions, a été un moment privilégié et bouleversant pour moi.  

On devine chez Hélène un tempérament pétillant, téméraire. Sa vie est une conquête de chaque instant, une lutte pour aller à la rencontre du monde. Au-delà du portrait, peuton dire que votre film est une leçon de vie, une quête de liberté ?
Hélène témoigne d’une liberté de pensée d’une puissance exceptionnelle, au-delà de nos limites, de nos barrières sociales. Elle déplace sans cesse les frontières entre son corps, celui des autres, et le monde extérieur. Comme Pierre Meunier et tous ceux qui font sa connaissance, j’ai été bouleversée par sa personnalité hors norme.

Dotée d’une grande intelligence, d’une intense perception et d’une forte présence au monde, elle a été capable de surmonter ses propres difficultés avec un immense humour. Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est le chemin qu’ont fait la mère et la fille pour aller à la rencontre l’une de l’autre. Alors oui, ce cheminement est une grande leçon de vie. On ressent beaucoup de bonheur, une véritable réalisation de soi chez Hélène et aussi un grand épanouissement et dépassement de soi chez Véronique. Le parcours exemplaire d’Hélène vers l’écriture, sa ténacité pour acquérir la liberté de s’exprimer, nous interpellent dans notre rapport à la différence, à notre façon de juger les autres.

En France, nous avons un grand retard dans notre connaissance et accompagnement de l’autisme. L’autisme n’est pas un handicap, mais une autre manière d’être au monde, une perception et une intelligence humaine particulières et uniques qui peuvent nous enrichir et nous bousculer, si précieuses à rencontrer et partager. Nous filtrons beaucoup ce que nous vivons, alors qu’Hélène se nourrit de tous ses sens, elle a conscience de toutes les strates de l’existence. Cette extraordinaire puissance d’ouverture se retrouve dans sa création. Hélène est un concentré de vie, elle nous emmène toujours plus loin, avec poésie et philosophie. Avec elle, la réponse est toujours plus forte que la question…   

Vous filmez admirablement les silences d’Hélène. On dirait parfois une madone, à l’écoute du monde. Avez-vous ressenti une dimension spirituelle chez Hélène ?
Comme elle le dit elle-même, Hélène a une relation spirituelle aux choses comme un don médiumnique. Elle dit vivre un voyage intersidéral, un « va-et-vient avec le cosmos ». Ses rapports à la nature, à l’espace et au temps, sont toujours d’ordre symbolique, métaphorique. Elle nous fait d’emblée prendre de la hauteur.

Elle bouleverse notre relation au corps, à l’esprit, à l’Histoire, à l’humanité. Elle bouscule nos habitudes de penser, enfermées dans des dichotomies trop rationnelles : l’espace et le temps, l’intérieur et l’extérieur, le sujet et l’objet. A la fin du film, j’assiste à la rencontre d’Hélène avec Laurent Derobert, « mathématicien existentiel ». C’est un moment intense, où l’on comprend que l’autisme n’est pas synonyme d’enfermement, mais d’une connexion profonde avec le mystère du monde.

A ce moment du film s’opère un vrai renversement des valeurs : on s’aperçoit que ce n’est pas Hélène qui est « différente », mais nous qui ne sommes pas assez ouverts et sensibles pour saisir les clés qu’elle nous offre pour comprendre le monde. La rencontre avec Hélène m’a rappelé ma rencontre avec les Aborigènes d’Australie, il y a quelques années, lors du tournage de mon film L’Arbre.

J’avais découvert le sens profond de l’animisme, cette relation globale avec le monde. Hélène a le même rapport primordial avec l’univers. Hélène n’est pas « prisonnière » de son corps, c’est elle qui nous fait prendre conscience de nos propres « enfermements ». Au-delà du portrait, mon plus grand plaisir serait que le film pose la question philosophique de notre place dans l’univers. Je pense à Pascal : «L’homme est pris entre deux abîmes, l’infiniment petit et l’infiniment grand ».

Hélène nous questionne sur l’univers qui est en nous, sur la relation métaphysique qui existe entre le microcosme en nous et le macrocosme qu’est l’espace. « Je guette les étoiles qui brillent dans ma tête », écrit-elle dans Algorithme éponyme. Hélène a constamment la tête dans les étoiles. Il y a quelque chose de profondément joyeux chez elle, elle est libre de ses rêveries, la tête en l’air, comme une enfant.

Documentaire de Julie Bertuccelli. 4,4 étoiles AlloCiné.


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