Les doutes émis au pénal sur l’imputabilité des faits reprochés à un salarié s’imposent aux prud’hommes

Un salarié est licencié pour avoir utilisé frauduleusement une carte de carburant. Avec la complicité d’un employé de station service, il utilisait la carte pour simuler, ticket de débit à l’appui, une livraison de carburant. En fait, rien ne sortait des pompes et le salarié et son complice se partageaient l’argent correspondant au montant débité sur la carte. Parallèlement au licenciement, l’employeur engageait un action au pénal pour abus de confiance. Le salarié indélicat est relaxé au pénal car les faits ne pouvaient à coup sûr lui être imputés et conteste aux prud’hommes son licenciement. Dans un premier temps, la Cour d’appel lui donne tort, mais la Cour de cassation lui donne raison : dès lors qu’il y avait un doute sur l’imputabilité des faits qui avaient motivé les poursuites pénales et la rupture du contrat de travail, la Cour d’appel devait se conformer au principe d’autorité de la chose jugée et devait par conséquent conclure à un licenciement sans cause réelle et sérieuse...


Arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale du 12 octobre 2016.

Pourvoi  n° 15-19620.

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant : 

Sur le moyen unique : 

Vu le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée au pénal ; 

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les pièces de la procédure, que M. X..., engagé à compter du 5 juin 2001 par la société Bamy Pneus en qualité de chauffeur livreur et occupant en dernier lieu les fonctions de responsable de dépôt, a été licencié pour faute grave le 16 septembre 2009 pour avoir détourné frauduleusement l'usage d'une carte de carburant au préjudice de la société ; que devant la juridiction répressive, le salarié a été poursuivi pour avoir à Baie-Mahault en tout cas sur le territoire national, entre le 27 août 2006 et le 27 août 2009 et depuis temps non prescrit, détourné au préjudice de la Société Bamy Pneus des fonds, valeurs, un bien, en l'espèce de l'argent, qui lui avait été remis à charge de les rendre, de le représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, en l'espèce de faire des pleins de carburants qui finalement n'ont pas été effectués ; que par arrêts des 17 juillet 2012 et 4 juin 2013, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Basse-Terre a renvoyé l'intéressé des fins de la poursuite et déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société ; 

Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt retient que celui-ci est mal fondé à se prévaloir de la décision de relaxe du chef de poursuite d'abus de confiance par détournement d'argent, cette relaxe s'imposant, dès lors qu'il n'a jamais été confié au salarié par la société, d'argent, en le chargeant de le rendre, de le représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé ; qu'en réalité les agissements de M. X... à l'origine de son licenciement sont susceptibles de qualification d'escroquerie par manœuvres frauduleuses consistant à utiliser frauduleusement la carte carburant de la société, avec la complicité du pompiste, afin de se faire remettre de l'argent par celui-ci pour son usage personnel, et en anomalies comptables par fausses mentions sur les tickets délivrés ; 

Attendu, cependant, que la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; 

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses propres constatations que les faits allégués par l'employeur à l'appui du licenciement étaient identiques à ceux portés à la connaissance du juge pénal et pour lesquels le salarié était relaxé du chef d'abus de confiance, aux motifs qu'il existait un doute quant à l'imputabilité de ces faits à son encontre, la cour d'appel a violé le principe susvisé ; 

PAR CES MOTIFS : 

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 mars 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ; 

Condamne la société Bamy Pneus aux dépens ; 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Bamy Pneus et condamne celle-ci à payer à M. X... la somme de 1 800 euros ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize. 

MOYEN ANNEXE au présent arrêt 

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. X... 

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement ayant déclaré que le licenciement de M. X... était sans cause réelle et sérieuse, et d'avoir débouté ce dernier de l'ensemble de ses demandes ; 

AUX MOTIFS QUE M. X... est mal fondé à se prévaloir de la décision de relaxe qu'il a obtenue de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Basse-Terre puisque devant cette juridiction, M. X... était poursuivi pour avoir à : « à Baie-Mahault en tout cas sur le territoire nationale entre le 27 août 2006 et le 27 août 2009 et depuis un temps non prescrit, détourné au préjudice de la société Bamy Pneus des fonds, valeurs, un bien, en l'espèce de l'argent, qui lui avait été remis à charge de les rendre, de le représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, en l'espèce de faire des pleins de carburants qui finalement n'ont pas été effectués » ; qu'il se serait agi donc, selon l'incrimination retenue, d'un abus de confiance par détournement d'argent ; que la relaxe sur ce chef de poursuite s'imposait en tout état de cause puisqu'il n'a jamais été confié à M. X..., par la société Bamy Pneus, d'argent, en le chargeant de le rendre, de le représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé ; qu'en réalité, la description des faits tels que constatés ci-dessus, montre qu'il s'agit de faits susceptibles de qualification d'escroquerie par l'accomplissement de manœuvres frauduleuses consistant à utiliser frauduleusement la carte de la société Bamy Pneus avec la complicité du pompiste, M. Y..., afin de se faire remettre de l'argent par celui-ci, pour son usage personnel, ces agissements devant être en principe dissimulés en portant sur chaque ticket de débit, la mention fictive d'un véhicule ou d'un engin destinataire du carburant, non livré ; que dans sa lettre de licenciement, l'employeur ne reproche pas à M. X... des détournements d'argent mais des anomalies dans la consommation de carburant ressortant de transactions effectuées en quelques minutes dans la même station-service, telles qu'elles résultent des factures Total et des tickets que l'intéressé transmettait à la comptabilité ; qu'après avoir invoqué l'utilisation de la carte de carburant, dont le montant débité avait pour contrepartie la remise d'argent en espèces, avec la complicité de l'employé de la station-service, l'employeur reproche à M. X... un manquement grave à ses obligations de probité et de loyauté stigmatisant le détournement frauduleux de l'usage de la carte de carburant aux dépens de celle-ci ; que les agissements de M. X... à l'origine de son licenciement ne pouvant s'analyser en abus de confiance par détournement de sommes d'argent mais en manœuvres frauduleuses aux fins de se faire remettre des sommes d'argent, et en anomalies comptables par fausses mentions sur les tickets délivrés, il ne peut être utilement invoqué l'autorité de chose jugée au pénal ; 

ALORS QUE la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; que la lettre de licenciement reproche à M. X... d'avoir fait un usage frauduleux de la carte carburant aux dépens de l'employeur ; que la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Basse Terre, saisie des mêmes faits sous la qualification d'abus de confiance, a jugé par deux décisions définitives des 17 juillet 2012 et 4 juin 2013 qu'il existait un doute quant à l'imputabilité de ces faits à M. X..., au bénéfice duquel elle a prononcé une décision de relaxe ; qu'en jugeant néanmoins que ces mêmes faits justifiaient son licenciement pour cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'autorité au civil de la chose jugée au pénal, ensemble l'article 1351 du code civil. »

Photo : Antony - Fotolia.com.

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