Les premiers, les derniers

Dans une plaine infinie balayée par le vent, Cochise et Gilou, deux inséparables chasseurs de prime, sont à la recherche d’un téléphone volé au contenu sensible. Leur chemin va croiser celui d’Esther et Willy, un couple en cavale... 

Entretien avec Bouli Lanners, le réalisateur

Quel fut le point de départ de ce film ?
Une image, juste une image que j’ai pu voir grâce au train de nuit Toulouse-Paris dans lequel je ne dormais pas. Une espèce de rampe de lancement en béton qui traversait la plaine sur des kilomètres. (1). Je ne savais pas ce que c’était, j’avais l’impression que c’était un aqueduc. J’ai repéré le nom des gares que je traversais, j’y suis retourné. Et voilà. Comment, de cette image, est né le film ? A partir de cette image, j’ai eu envie d’écrire l’histoire de deux personnages très marginalisés socialement, extrêmement fragiles et qui errent en suivant une trajectoire rectiligne, échappant ainsi à toute logique géographique classique. Sur cette idée de deux personnages en fuite sont ensuite venus se greffer tous les autres éléments du film ; Cochise et Gilou, la recherche d’un téléphone volé, la petite ville perdue, la momie, etc….

Comment fut écrit le scénario ?
J’avais passé un an et demi à essayer d’écrire un scénario sans y arriver. En écoutant une conversation volée, j’ai pris conscience que l’idée d’une fin du monde proche était présente chez beaucoup de gens. Pas uniquement chez moi. Et là d’un coup, le monorail, le couple qui fuit, les bribes de ce scénario hybride, tout a commencé à faire sens et en cinq semaines tout s’est mis en place. Ensuite je me suis inspiré de choses très personnelles pour nourrir les personnages. Notamment celui de Gilou qui est très proche de moi.

Albert Dupontel en Cochise, ce fut une évidence ?
 Il n’y avait qu’une personnalité avec laquelle je pouvais compléter le couple Gilou-Cochise, c’était lui ! Je le connais bien, c’est quelqu’un que j’admire et avec qui j’ai déjà beaucoup travaillé. Il a un côté cartésien, protecteur, très chaleureux avec en même temps énormément de pudeur. Il a avec moi, dans la vie, le rapport que Cochise a avec Gilou. De plus c’est un comédien exceptionnel qui dégage ce quelque chose qui fait de Cochise un animal à sang froid, un vrai tueur potentiel.

Quelques mots du jeune couple, Esther et Willy ?
Esther et Willy sont en marge de la société. J’aime ces personnages fragiles qui peuvent basculer à tout moment. Ils ont en eux une espèce de pureté absolue. A l’image du fantasme que j’ai des premiers hommes, c’est à dire l’incarnation de la nature humaine dans ce qu’elle a de meilleur.  

Pourquoi « Les Premiers Les Derniers » ?
Dans tous mes films on trouve cette thématique : une cellule familiale traditionnelle explosée, qu’on essaie de reconstituer par tous les biais possibles. Ce qui nous relie aux premiers Hommes, nous qui sommes peut-être les derniers, c’est ce même désir absolu d’exister à travers le clan familial. J’aime l’idée d’un lien qui nous relie encore à eux. Ça me rassure. Et puis, Le premier et Le dernier, c’est Dieu. Les premiers hommes, à la différence des animaux avaient une conscience et recherchaient le divin. Même si ma foi est cabossée, je suis moi aussi toujours à la recherche du divin. Nous sommes peut-être les derniers, mais nous ne sommes pas très différents des premiers.

Quelques mots aussi sur Max Von Sydow et Michael Lonsdale ?
 Au delà du fait d’avoir l’immense bonheur de tourner avec eux, c’est l’image du père que j’ai essayé de créer en leur confiant ces deux rôles. Il me fallait deux personnages plus âgés que Gilou, plus fragiles physiquement mais tellement plus forts sur le plan moral. Ce dont Gilou a besoin pour rebondir et pour se reprendre en main, c’est un père qui lui fait prendre conscience que sa fragilité à lui est toute relative.

Jésus est de la partie, sous les traits de Philippe Rebbot…
 Philippe, c’est Jésus dans une peinture du Greco. Nous nous sommes rencontrés dans un film de Solveig Anspach (2) et c’est devenu mon frère. Je lui ai dit « Tu seras Jésus, tu enlèveras tes lunettes et tu auras la douceur du Christ dans le regard… » Pour moi, dans le film, Rebbot, c’est le vrai Jésus, c’est donc un homme. Un homme qui doute, un homme qui sent bien qu’un destin particulier l’attend mais qui ne sait pas exactement où. Un homme qui se sert de son flingue aussi. Un Jésus de western ! C’est mon Jésus. Il ne va pas plaire à tout le monde, mais je m’en fous !

La Beauce en plein hiver offre un décor superbe et sauvage, un peu western lui aussi…
Oui c’est très beau, cette plaine infinie, très graphique, comme dans certains Westerns. Mais c’était juste l’enfer, avec un vent permanent et glacé ! Ça a de la gueule de tourner là en Scope, dans cette étendue sauvage, mais c’était dur.

Comment avez-vous abordé la photographie, l’image ?
Bien en amont, comme à chaque fois. A la fin des Géants, j’ai dit à Jean-Paul De Zaeytijd, mon chef opérateur, que le film suivant serait un film plus noir, plus crépusculaire, plus âpre, avec des intérieurs confinés et sombres et des extérieurs très froids. Et c’est ce que nous avons fait.

Pourquoi un film plus sombre ?
Une forme de pessimisme existentiel est très présente dans la pensée aujourd’hui. Ça m’interpelle fort. De plus, pour ma part, j’ai traversé une période difficile pendant laquelle l’idée de la mort ne me lâchait pas. Il fallait exorciser tout ça à travers une histoire, à travers un film. Et comme la société du tout au divertissement et des humoristes à tout prix me saoule, je ne pouvais pas faire une comédie. Le temps était donc venu de faire un film plus sombre. C’est bien aussi de faire un film sombre.

Le film n’est pas désespéré pour autant !
Ah pas du tout, non. C’est même, paradoxalement, le seul de mes films qui se termine bien. Même si c’est la fin du monde, même si la maladie risque de raccourcir nos échéances personnelles, ce qui nous reste à vivre doit être vécu à fond, avec, et pour les autres. Et en ce sens, mon film est un vrai message d’espoir.

(1) La voie d’essai de l’aérotrain d’Orléans fut construite en 1968. Conçue pour s’inscrire dans un futur axe Paris-Orléans, elle est désaffectée depuis 1977…

(2) « Lulu femme nue » (2013). 

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