La saison des femmes

Inde, Etat du Gujarat, de nos jours. Dans un petit village, quatre femmes osent s'opposer aux hommes et aux traditions ancestrales qui les asservissent. Portées par leur amitié et leur désir de liberté, elles affrontent leurs démons, et rêvent d'amour et d'ailleurs... 

Entretien avec la réalisatrice Leena Yadav

Quelle est l’origine de LA SAISON DES FEMMES ?
 Petite fille, mes parents m’ont appris à juger et traiter les autres comme des êtres humains avant tout, sans tenir compte de leur sexe, de leur religion ou de leur caste. Ce film est ma réaction à une société misogyne qui traite les femmes comme des objets sexuels, dont le rôle se limite à servir les hommes. Si j’ai choisi d’écrire l’histoire de ces femmes ordinaires au destin extraordinaire, c’est pour donner à mes personnages féminins une voix qui observe, comprend et réagit. Nous sommes tous parfois contraints par la structure sociale à nous conformer à certaines normes ou valeurs, sans nous interroger sur leur signification ou les remettre en cause. Si les remettre en question fait de nous des hors-la-loi, eh bien tant pis !

Durant l’hiver 2012, j’ai sillonné le désert aride du Kutch, dans l’État indien du Gujarat, en quête d’histoires à raconter. Situé au nord-ouest de l’Inde, ce territoire reculé aux paysages impressionnants abrite deux millions d’habitants, répartis en petites communautés. La population est régie par d’anciennes « normes » patriarcales décrétées par le conseil du village, composé en grande partie d’hommes. J’ai été captivée par les paysages du Kutch, par son sol desséché et craquelé, et par ses femmes aux tenues chamarrées. Mon histoire se passe dans le village imaginaire d’Ujhaas. Pour le film, nous avons inventé une langue qui mélange l’hindi à un dialecte local, le kutchi. 

Quelles ont été vos sources d’inspirations pour créer vos héroïnes ?
Dans un village, j’ai rencontré une femme prénommée Rani. Elle nous a invités dans sa hutte et nous a raconté son histoire autour d’un repas préparé par ses soins. Devenue veuve à l’âge de quinze ans, elle a consacré sa vie à l’éducation de ses enfants. Son histoire était authentique, parfois même drôle. J’ai eu envie de la raconter quand Rani m’a pris la main et m’a confié : « On ne m’a pas touchée depuis dix-sept ans. J’ai enfoui tous mes besoins au fond de moi pour faire ce qui convient pour mes enfants. » Ses mots m’ont choquée et bouleversée. Qu’est-ce qui « convient » ? Est-il « convenable » d’ordonner à une enfant de quinze ans de passer le reste de son existence vêtue de noir, à élever seule les enfants qu’elle a eus très jeune suite à un mariage forcé ? Pourquoi lui a-t-on retiré le droit à la couleur et à tout contact physique ? Qui a décrété ces « normes » sociétales, et pourquoi Rani les a-t-elle acceptées ?

J’ai gardé ce prénom pour mon personnage principal. Un autre jour, une jeune femme s’est assise avec nous. Elle bavardait et riait en toute insouciance, mais son visage et ses bras étaient couverts de bleus. Quand j’ai enfin osé lui demander si elle allait bien, elle a minimisé le problème : « Mon mari travaille beaucoup, parfois c’est frustrant pour lui. Sur qui d’autre pourrait-il se défouler ? ». « C’est ma vie... parlons d’autre chose », a-t-elle conclu avec un grand sourire. C’est ce sourire qui m’a inspiré le personnage de Lajjo. Dans ces régions rurales, en particulier, j’ai rencontré des femmes qui travaillent dur. Le jour, elles cuisinent, font le ménage, élèvent seules leurs enfants et effectuent des tâches agricoles éreintantes. Le soir, elles gagnent un peu d’argent supplémentaire en brodant à la lueur d’une lampe des étoffes artisanales, revendues à prix d’or dans les grandes villes.

Ces femmes subissent un véritable lavage de cerveau. On leur fait croire que leurs efforts ne valent rien, que ce sont les hommes qui subviennent aux besoins de la famille. « Le pauvre, il travaille toute la journée et rentre fatigué le soir, c’est normal qu’il prenne un verre pour se détendre, » expliquent-elles pour excuser l’alcoolisme de leurs maris, souvent camionneurs saisonniers. Les femmes de LA SAISON DES FEMMES sont le fruit de toutes ces rencontres.

 Votre film pointe du doigt, entre autres, le cercle vicieux de la misogynie...
Lors de nos repérages pour les scènes en extérieur, nous avons visité une bonne trentaine de villages aux environs de Bhuj, du Gujarat et du Rajasthan. On nous a interdit d’y tourner, car les villageois n’approuvaient pas qu’une femme (moi, en l’occurrence) dirige une équipe, porte des pantalons, ne se couvre pas la tête et parle ouvertement aux hommes. Contre toute attente, ce sont les hommes de la jeune génération, ceux qui sont aux commandes aujourd’hui, qui ont eu le plus de mal à accepter une femme émancipée comme chef d’équipe.

L’un d’eux m’a dit : « Si une femme comme vous pénètre dans notre village, nos femmes seront perverties. » Cette expérience m’a inspiré le personnage de Gulab, le fils de Rani. Gulab a été élevé dans un univers patriarcal, où la misogynie constitue la « norme ». Il est tout autant le produit de cet univers que son propagateur. En ce sens, Gulab est lui aussi une victime. Ses aînés lui ont transmis la colère et l’agressivité comme techniques de survie. On lui a inculqué que les femmes sont des objets sexuels, des possessions. Il se voit privé de douceur, de gentillesse et d’amour car il est « un homme ». Le plus tragique, c’est que très probablement, en grandissant, Gulab deviendra comme Manoj, le mari maltraitant de Lajjo.

Je connais des hommes qui battent leurs femmes comme le fait Manoj dans mon film, et des épouses qui supportent sans broncher leurs mauvais traitements, pour des raisons qui m’échappent. Ces hommes ne sont pas toujours des villageois illettrés, certains portent un costume, dirigent des entreprises et peuvent être de fins connaisseurs de vin. La relation entre Manoj et Lajjo s’inspire de ces relations fondées sur le sentiment d’impuissance du mari, qui l’extériorise en maltraitant la personne la plus proche de lui. 

Pensez-vous que le film créera des débats dans votre pays ?
Je le souhaite de tout cœur. J’espère que LA SAISON DES FEMMES suscitera des conversations, des polémiques qui me semblent essentielles pour notre monde et pour nos vies aujourd’hui. Tous ces sujets ont été trop longtemps relégués aux oubliettes, cachés sous le tapis. Et les débats sont un premier pas vers le changement…

Comédie dramatique indienne de Leena Yadav. 4,1 étoiles AlloCiné.

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