Apprentice

Aiman officie dans une prison de haute sécurité. Rahim, le bourreau en chef, y accompagne les derniers jours des condamnés. Rapidement, il prend le jeune gardien sous son aile et lui apprend les ficelles du métier... 

Entretien avec Boo Junfeng, le réalisateur

La peine capitale est un thème cinématographique usuel, mais la particularité de ce film est de présenter un bourreau. Pourquoi ce choix ?
Lorsque j’ai commencé mes recherches, le stoïcisme bureaucratique qui entoure les exécutions me fascinait. Je voulais croire qu’il y avait quelque chose d’humain derrière. On voit souvent les exécutions comme quelque chose d’institutionnel, mais au final, c’est un être humain qui appuie sur le levier. J’étais curieux de savoir comment quelqu’un s’accoutume à exécuter les condamnés. Le personnage de Rahim en est le résultat.

Je m’attendais à ce que les bourreaux soient davantage hantés par l’expérience de leur profession, et j’avais écrit un premier traitement qui allait dans ce sens. Mais lorsque je les ai rencontrés, je fus surpris de découvrir que ce n’était pas forcément le cas. En fait, ceux que j’ai interviewés étaient fiers de leur profession. Ils croient aider la justice de l’Etat, et s’enorgueillissent d’être peu nombreux à le faire. Ainsi, ils sont capables de justifier moralement les exécutions et le font sans remords.

Ce qui m’a d’autant plus choqué est à quel point ils sont finalement tout ce qu’il y a de plus normal. Mais comment décrire un bourreau humain et attachant ?

Aiman, quant à lui, est ambigu dès le début, entre ses intentions et sa réelle attitude par rapport aux exécutions. Il fut lui-même l’une des victimes collatérales. Pourquoi avoir choisi de le faire douter ?
Pour moi, l’évolution d’Aiman reflète les étapes de ma propre réflexion sur le sujet. Bien que mes opinions sur la peine capitale étaient arrêtées bien avant de faire le film, mon travail de recherche a irrémédiablement ébranlé mes idées préconçues – même si à la fin, mon opinion reste la même.

Cependant, j’ai volontairement créé le personnage d’Aiman pour rester le plus proche possible du point de vue des spectateurs : son ambivalence et ses sentiments contradictoires sur la peine de mort sont les mêmes que de nombreuses personnes. D’un côté, Aiman a tout à fait raison de mépriser ce qu’a fait son père et comment cela a affecté sa propre vie. Et pour montrer qu’il n’est pas comme son père, il se tourne naturellement du côté de la loi et devient gardien.

Dans cette logique, Aiman pourrait facilement être partisan de la peine capitale, considérant que son père méritait son châtiment selon la loi. D’un autre côté, le fait qu’Aiman ait grandi et ait échappé à la délinquance malgré le passé de son père est la preuve que les gens peuvent changer. De ce point de vue, il est alors en accord avec les opposants et croit en la réhabilitation et aux secondes chances. Cette opposition entre ce qui est bien ou mal est, en fait, le reflet des opinions disparates concernant la peine capitale.

La position particulière d'Aiman, à la fois victime et représentant de la loi, signifie qu'il incarne tous ces idéaux contradictoires. Les tensions entre sanction et pardon, entre dissuasion et compassion, sont au cœur du débat. En soi, Aiman est un personnage déclencheur qui pousse les gens à prendre position en s’interrogeant sur ce que leur dicte leur conscience. Pour Aiman, cette question est personnelle. Car il pénètre dans les lieux où son père a passé ses derniers jours, essaie de trouver un peu de rédemption pour l'homme que tous les autres considèrent comme un monstre.

Les émotions contradictoires qui viennent à lui – ses responsabilités en tant que gardien de prison, les exécutions dont il est témoin, son amitié et respect pour Rahim, le départ imminent et les inquiétudes incessantes de sa sœur – s’accumulent et le poussent dans une crise de conscience. Je n'ai pas voulu de fin définitive pour les spectateurs mais plutôt qu’ils se mettent à la place d'Aiman, sentent son angoisse et son incertitude et décident par eux-mêmes ce qui se produit après. S’il le fait ou pas, s'il devrait le faire ou pas… Cela doit être débattu. 

Dans quelle prison avez-vous tourné ?
La prison Laragan (littéralement, « la prison interdite ») est une représentation spatiale de l’état mental d’Aiman. C’est un personnage à part entière, sombre et stérile, avec des couloirs où le moindre bruit résonne au loin, comme s’il était hanté par le passé. Le labyrinthe de cellules et de portes blindées désoriente Aiman.

Pendant qu'il se rapproche de la potence, les espaces deviennent plus sombres et plus sinistres. Au fur et à mesure qu’Aiman traverse les couloirs à la recherche de lieux où son père a passé ses derniers jours, il plonge plus profondément en lui-même. Il regarde l’abîme et fait face à ses peurs, pour finalement peut-être trouver son chemin vers la potence. Par conséquent, même si la prison était fictive, il fallait de vrais espaces que je pouvais dépeindre cinématographiquement. La potence à deux étages a été filmée dans un immeuble abandonné à Singapour.

Sa conception est basée sur les informations recueillies auprès des bourreaux que nous avons rencontrés, et sur les archives publiques que nous avons trouvées au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. Nous l'avons construite de sorte que les salles, les couloirs et la potence soient tous liés ; la trappe était ainsi bien réelle. Pour les autres parties de la prison, je recherchais une installation dans le style historique britanno-colonial, avec des dispositifs de sécurité modernes, mais aucun des emplacements à Singapour – ou d'autres colonies britanniques en Asie du Sud-Est – n'était approprié ou disponible.

Finalement, nous avons tourné la plupart des scènes de prison (les cellules, l'armurerie ou les tours de guet) en Australie, à Maitland Gaol et au centre correctionnel de Parramatta, deux infrastructures hors service en Nouvelle-Galles du Sud. Les bureaux, les archives, le vestiaire et les cages d'escalier ont été filmés dans divers décors à Singapour. L’enjeu principal était de veiller à ce que tous ces décors n’en forment qu’un. Dans une même scène, les personnages pouvaient sortir d'un bureau filmé dans un entrepôt singapourien, passer par l’armurerie filmée à Parramatta, puis par une passerelle de Maitland, pour finir par le couloir construit à Singapour.

Nous l'avions prévu très soigneusement avec le décorateur, le directeur artistique et le directeur de la photographie et leurs équipes, de sorte que le tout fut méticuleusement rassemblé pour former un complexe pénitentiaire cohérent. Le seul lieu qui offre à Aiman un peu de chaleur et de lumière est l’appartement qu’il partage avec sa sœur Suhaila, un logement typique de la classe moyenne de Singapour. Là, nous pouvons sentir les textures et le rythme de son quotidien. 

Drame singapourien de Boo Junfeng. Sélection Un certain regard, Cannes 2016. 3,9 étoiles AlloCiné.

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