TAFTA, l'accord du plus fort

Aujourd’hui à Bruxelles et aux États-Unis, se joue la signature d’un traité qui risque de changer radicalement la vie de centaines de millions de citoyens américains et européens. Son nom, TAFTA. Son but, abaisser le plus possible les barrières du commerce – notamment les normes – entre nos deux continents pour faciliter les échanges...

Les négociations ont déjà commencé et portent sur des règlementations concernant l’ensemble de notre vie (alimentation, santé, droits sociaux,…). Pourtant, elles se font sans nous, sans nos élus, mais avec des représentants des multinationales.

Ce livre présente les enjeux de TAFTA et en identifie les risques potentiels, afin que les citoyens s’approprient ces questions et exigent un vrai débat démocratique. 

Thomas Porcher
Il est docteur en économie de l’université Panthéon-Sorbonne, professeur associé à l’ESG-MS et chargé de cours à l’université Paris-Dauphine. Il est notamment l’auteur du Mirage du gaz de schiste (Max Milo, 2013). 

Frédéric Farah
Il est diplômé de Sciences-po Paris, professeur de sciences économiques et sociales et chargé de cours à l’université Paris Sorbonne-Nouvelle. Il a contribué à l’ouvrage collectif Regards sur un XXIè siècle en mouvement (Ellipses, 2012).

Extrait
« Certains promoteurs du traité affirment que l’Europe est économiquement en position de force face aux États-Unis. Dans une tribune intitulée - Traité transatlantique : le plus gros risque serait de ne pas conclure-, Vincent Champain, membre du groupe mondialisation de l’Observatoire du long terme, rappelle que l’Union européenne a un PIB de 16 400 milliards de dollars contre 15 700 milliards pour les États-Unis et que la balance commerciale entre ces deux zones est excédentaire de 125 milliards de dollars en faveur de l’Europe. 

Au regard de ces chiffres, les Européens peuvent donc avancer confiants dans les rounds de négociations. Pourtant une analyse plus fine des données économiques et du fonctionnement de l’Europe montre une réalité bien différente. 

Premièrement, concernant la comparaison des PIB, il convient de noter que l’Union européenne a une population de 502 millions d’habitants contre 314 millions pour les États-Unis, si bien que le PIB par habitant – qui est un indicateur plus pertinent – y est environ 40 % plus faible. À cela, il faut ajouter l’hétérogénéité de l’Union européenne en termes de PIB par habitant. Ainsi, celui de l’Allemagne n’est inférieur que de 21 % à celui des États-Unis, contre 30 % pour la France, 36 % pour l’Italie et 68 % pour la Roumanie. 

Deuxièmement, sur plusieurs secteurs clés de l’économie, l’Union européenne a complètement décroché par rapport à son rival américain. Par exemple, dans le classement des dix meilleures entreprises d’électronique grand public ne figure aucune compagnie européenne contre six américaines. Idem dans l’informatique ou les services financiers, où les trois premières places sont tenues par des entreprises américaines. Enfin, le classement des dix marques les plus puissantes au monde atteste de la domination des États-Unis avec huit entreprises classées alors qu’aucune entreprise européenne n’y figure. 

Troisièmement, il faut retenir la faiblesse politique de l’Europe face aux États-Unis. Alors que les institutions européennes devaient faire apparaître une Europe forte avec un président stable et un haut représentant des affaires, elle ne dispose pas moins de cinq présidents : présidence stable, présidence tournante, président du Parlement, président de l’Eurogroupe, président de la Commission européenne. Or, ces cinq présidents ne laissent pas apparaître une forme claire de commandement. L’Union européenne est éclatée et n’exprime pas une souveraineté commune, elle n’est que l’addition d’États divergents économiquement et politiquement. Or, 28 souverainetés additionnées n’en font pas une. 

Cette différence se traduit dans la politique économique menée par les deux ensembles. Alors que, contrairement à l’idée reçue, les États-Unis ont un recours pragmatique à la politique budgétaire et monétaire quand il s’agit de dynamiser leur croissance économique, l’Europe a imposé des dogmes rigides (équilibre budgétaire, lutte contre l’inflation) qui la privent de leviers de politique économique dont tout le monde se sert (la Chine, les États-Unis et le Japon en premier lieu), et l’a amenée à un jeu de surveillance des mauvais élèves. 

Or, comme ces règles sont inadaptées à l’hétérogénéité de l’Europe, car elles imposent les mêmes contraintes à des pays qui connaissent des dynamiques démographiques et économiques différentes, elles donnent lieu à des divisions et des débats internes sans fin. Au final, plutôt que de se tourner vers l’extérieur avec une volonté de s’imposer au monde comme le font les États-Unis, l’Europe est minée de l’intérieur et tournée sur elle-même. 

Il suffit de comparer la manière dont les États- Unis et l’Europe utilisent leur monnaie. Alors que l’Europe reste obsédée par le lien entre politique monétaire et inflation, les États-Unis utilisent le dollar comme une arme pour subventionner leurs exportations. En dévaluant leur monnaie, les Américains améliorent la compétitivité de leurs exportations. De l’autre côté, grâce à la dévaluation, les importations venues d’Europe apparaissent plus chères aux États-Unis ce qui, inversement, augmente la compétitivité des produits intérieurs américains. 

Alors pourquoi les Européens ne font pas de même en dévaluant l’euro ? Le problème vient encore une fois de l’hétérogénéité économique des pays européens. Le haut niveau de l’euro désavantage certains pays mais profite à d’autres, comme le rappelle très justement Louis Gallois : « L’euro fort renforce les forts et affaiblit les faibles, il privilégie ceux qui ont réussi à échapper à la compétition par les prix en se plaçant sur le haut de gamme. » Les rapports de force existant également à l’intérieur de l’Europe, il en a résulté un euro qui s’est apprécié de plus de 60 % depuis 2001. 

Dans le cadre du marché transatlantique, la manipulation du dollar accompagnée d’une uniformisation des normes donnerait un avantage énorme aux multinationales américaines car, comme le commerce États-Unis/Europe est un commerce intra-branche, il ne pourra qu’être en faveur des États-Unis, la baisse du dollar rendant les biens américains moins chers que ceux des Européens. Et pire encore, comme la majorité des échanges sont intra-européens, les exportations américaines – moins chères et désormais possibles par l’uniformisation des normes américaines et européennes – pourraient se substituer à celles de certains pays européens provoquant une perte de débouchés pour les entreprises de ces pays. 

Enfin, l’Europe est plus libérale dans son fonctionnement que les États-Unis. Effectivement, depuis sa construction, l’Europe a tenté d’uniformiser des modèles économiques et sociaux propres à chaque pays en promouvant la libéralisation par le marché. Car, contrairement à l’idée reçue, l’Union européenne est loin d’être la patrie des droits sociaux, ni même un rempart contre l’économie de marché. Certes, au départ, du fait de l’hétérogénéité des entreprises, des secteurs et des marchés, elle fut tiraillée entre une voie plus interventionniste et l’autre plus confiante dans le marché, mais depuis, elle a fait sa mue en s’empressant d’épouser les chemins d’un libéralisme obsessionnel et révérencieux à l’égard de la concurrence. Face à la financiarisation débridée et la spéculation, elle a offert une monnaie qui n’a été qu’un bouclier de verre ; face aux inquiétudes de ses habitants sur une malbouffe à l’oeuvre dans nos assiettes, elle s’est montrée parfois complaisante pour les OGM et a redonné vie au cauchemar des farines animales qui sont réintroduites depuis juin 2014 ! La réalité est que TAFTA n’est que le prolongement, trente ans plus tard, du marché unique et que nous sommes bien loin de cette opposition simpliste qui voudrait faire de l’Europe ce village gaulois assiégé par l’empire américain. En matière économique, l’Union européenne, loin d’être un bouclier protecteur, est la courroie de transmission de la mondialisation et de ses effets délétères. » 

Editions Max Milo. 64 pages.


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