Rupture de relations commerciales et cession de fonds

Une société rachète un fonds de commerce de négoce de boissons. Voulant utiliser ses propres camions pour transporter ses marchandises, l’acquéreur informe le transporteur sous-traitant du cédant qu’il rompra leur relation commerciale au terme d’un préavis de 3,5 mois. Le sous-traitant assigne l’acquéreur en dommages et intérêts pour durée de préavis insuffisante ne tenant pas compte de la durée de la relation commerciale avec le cédant. La Cour de cassation donne raison à l’acquéreur dont l’achat du fonds ne signifiait pas qu’il voulait poursuivre la relation commerciale avec le transporteur sous-traitant. Le préavis ne devais donc pas être calculé en fonction de la relation commerciale avec le cédant...

Arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre commerciale du 15/09/15.
N° de pourvoi 14-17964

« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 février 2014), que la société Elidis boissons services Niort (la société Elidis), qui exploitait un fonds de commerce de négoce de boissons, l'a donné en location-gérance, à compter du 1er octobre 2005, à la société Poitou boissons, avant de le lui céder, par acte du 30 mars 2006 ; que le 14 avril 2006, la société Poitou boissons a informé la société Vivien fret (la société Vivien), qui assurait, depuis plusieurs années, les transports d'approvisionnement en boissons de ce fonds, de sa décision d'utiliser désormais ses propres camions pour ses approvisionnements, décision devenue effective au mois d'août suivant ; que se prévalant de la durée de la relation commerciale qu'elle avait entretenue avec les prédécesseurs de la société Poitou boissons, la société Vivien a assigné cette dernière société en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie ; que la société Vivien a été mise en liquidation judiciaire par jugement de conversion du 14 novembre 2013 ;

Attendu que la société Vivien et son liquidateur font grief à l'arrêt du rejet de la demande alors, selon le moyen :

1°/ que la durée des relations commerciales initialement nouées avec le cédant doit être prise en compte pour fixer la durée d'une relation commerciale établie en cas de rupture de celle-ci par le cessionnaire, lorsque ces relations se sont poursuivies, même en l'absence de mention dans le contrat de cession de la reprise de la relation initiale par le cessionnaire et d'acceptation par celui-ci de l'obligation légale de préavis qui en découle en cas de rupture ; qu'en affirmant au contraire, pour refuser de prendre en compte les relations commerciales ayant existé avant le 1er octobre 2005, date de mise en location-gérance du fonds au profit de la société Poitou boissons, que le contrat de cession du 30 mars 2006 n'a pas de plein droit substitué la société Poitou boissons au cédant, et que la poursuite des relations commerciales par la société Poitou boissons pendant la location-gérance et après l'acquisition du fonds ne valait pas acceptation de reprendre à sa charge les obligations découlant, au titre de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, des relations commerciales précédemment établies, la cour d'appel, qui a considéré que la reprise de l'obligation de préavis liée aux relations antérieures à la location-gérance par la société Poitou boissons était subordonnée à une acceptation directe ou indirecte de sa part, a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

2°/ que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce n'instaure pas une responsabilité contractuelle, mais une responsabilité de nature délictuelle ; qu'en retenant que la société Poitou boissons n'était pas tenue d'assumer l'obligation de préavis découlant des relations commerciales antérieures à la mise en location-gérance du fonds, à défaut de démontrer qu'elle avait accepté d'assumer cette obligation, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

3°/ que la seule poursuite par un locataire-gérant d'une relation commerciale établie suffit à considérer que la relation initialement nouée avec celui qui a mis le fonds en location-gérance s'est poursuivie avec la locataire-gérante du fonds de commerce ; que la durée de la relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6 5° du code de commerce, doit alors être appréciée en tenant compte de la durée totale de la relation commerciale, incluant non seulement la durée de la location-gérance mais également la durée de la relation précédente entretenue avec celui qui a mis le fonds de commerce en location-gérance ; qu'en refusant, pour fixer le point de départ de la relation commerciale établie entre la société Vivien et la société Poitou boissons à la date de mise en location-gérance, de tenir compte de la relation commerciale de même nature établie depuis 1998 par celui qui a donné le fonds en location gérance, après avoir constaté " qu'à partir du 1er octobre 2005, la société Poitou boissons a pris en location-gérance le fonds de négoce de boissons dont la société Elidis était propriétaire à Chasseneuil-du-Poitou, avant d'acquérir ce même fonds par acte du 30 mars 2006 " et que " la société Poitou boissons a, comme le faisait la société Elidis, confié le transport de ces boissons à la société Vivien le temps de la location gérance puis après l'acquisition ", ce dont il résultait que la durée de la relation initialement nouée avec celui qui a mis le fonds en location-gérance qui s'est poursuivie avec la locataire-gérante du fonds de commerce devait être prise en compte, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Poitou boissons avait pris en location-gérance, à partir du 1er octobre 2005, le fonds de commerce dont était propriétaire la société Elidis puis avait acquis ce fonds par acte du 30 mars 2006, l'arrêt retient que si cette opération a transféré à la société Poitou boissons la propriété des éléments du fonds cédé, elle n'a pas de plein droit substitué le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que cette société entretenait avec la société Vivien ; qu'il retient, encore, que s'il est établi que la société Poitou boissons a confié le transport de ses boissons à la société Vivien, pendant le temps de la location-gérance puis après l'acquisition du fonds, avant de l'informer, par lettre du 14 avril 2006, qu'elle mettait fin à leurs relations, ces seuls éléments ne permettent pas de considérer que cette société ait eu l'intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée entre les sociétés Elidis et Vivien ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu la nature délictuelle de la responsabilité encourue sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, a exactement déduit que le préavis dont devait bénéficier la société Vivien n'avait pas à être déterminé en considération de la relation précédemment nouée avec la société Elidis ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Vivien fret et Mme X..., en qualité de liquidateur judiciaire de cette société, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme X... , ès qualités, et la société Vivien fret

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté la société VIVIEN FRET de toutes ses demandes et notamment de celle tendant à obtenir la condamnation de la société POITOU BOISSONS à lui payer la somme de 250. 000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour brusque rupture des relations commerciales ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE  sur la rupture des relations commerciales, il est constant qu'à partir du 1er octobre 2005, la société Poitou Boissons a pris en location gérance le fonds de négoce de boissons dont la société Elidis Boissons Services Niort était propriétaire à Chasseneuil du Poitou et que par acte du 30 mars 2006 elle a acquis ce même fonds ; que si cette opération a transféré à la société Poitou Boissons la propriété des éléments du fonds cédé, elle n'a pas de plein droit substitué le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles qu'il entretenait avec la société Vivien Fret ; que dès lors s'il est établi que la société Poitou Boissons a, comme le faisait la société Elidis Boissons services Niort, confié le transport de ces boissons à la société Vivien Fret le temps de la location gérance puis après l'acquisition du fonds jusqu'à ce qu'elle lui fasse connaître le 14 avril 2006 qu'elle mettait fin à sa ces relations, elle ne saurait être considérée, par cette seule circonstance, comme ayant accepté de reprendre à sa charge les obligations découlant, au titre de l'article L. 442-6 du code de commerce des relations commerciales précédemment établis ; qu'il n'en irait autrement que si la société Poitou boissons avait directement ou indirectement manifesté son intention de poursuivre les relations établies par la société ELIDIS services Niort avec la société Vivien Fret et d'assumer l'obligation de préavis en résultant, à concurrence de l'ancienneté de ses relations au cas où elle voudrait y mettre fin ; que tel n'étant pas le cas, il y a lieu de considérer que c'est à partir du 1er octobre 2005 que les sociétés Poitou Boissons et Vivien Fret ont noué des relations commerciales, que la décision d'y mettre fin ayant été notifiée le 14 avril 2006 et ayant été effective au mois d'août suivant, la durée de ces relations-cinq mois et demi-ne justifiait pas d'imposer à la société Poitou Boissons un plus long préavis ; que le jugement entrepris sera donc confirmé ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE  la notion de relations commerciales établies est extensible ; qu'ainsi la Cour de cassation admet que, malgré les changements de personnes morales cocontractantes et même en cas de pluralité de contrats une continuité et une unicité de la relation commerciale puissent exister ; que ce n'est que de la reprise d'une obligation ou d'une partie de l'obligation du cédant par son cessionnaire que naîtront la continuité et l'unicité de la relation commerciale avec le cocontractant, le cessionnaire venant en quelque sorte du cédant ; qu'ainsi en cas de cession de fonds de commerce la continuité et l'unicité d'une relation commerciale établie entre le cessionnaire et un ancien contractant de cédant dépendent de la volonté réciproque de l'ancien contractant du cédant et de la volonté expresse du cessionnaire de reprendre certaines obligations en plus de celles légalement prévues ; que si une telle volonté n'est pas établie et que le cocontractant prétend à une indemnité pour brusque rupture des relations commerciales, c'est plutôt le cas échéant du côté du cédant qu'il devrait attaquer, au moyen de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris (arrêt du 20 octobre 2005) selon laquelle la rupture sans préavis des relations commerciales établies depuis neuf ans est brusque lorsqu'un cocontractant titulaire d'un bail commercial donne en location-gérance son fonds sans se préoccuper de son fournisseur ; qu'en l'occurrence l'acte de cession ne contient aucune mention permettant de relever une telle volonté de Poitou Boissons ; que donc il n'y a eu ni continuité ni unicité au profit des parties à l'affaire relations commerciales qu'avait établi Vivien fret avec Elidis Boissons Services Niort ; qu'il est ainsi démontré que les parties ne démarrèrent leurs propres et nouvelles relations commerciales de la mise en place de la location-gérance ; que la location gérance a été mise en place le 1er octobre 2005 ; qu'il en résulte que le tribunal fixe au 1er octobre 2005 la date de départ des nouvelles relations commerciales entre les parties ;

1°) ALORS QUE la durée des relations commerciales initialement nouées avec le cédant doit être prise en compte pour fixer la durée d'une relation commerciale établie en cas de rupture de celle-ci par le cessionnaire, lorsque ces relations se sont poursuivies, même en l'absence de mention dans le contrat de cession de la reprise la relation initiale par le cessionnaire et d'acceptation par celui-ci de l'obligation légale de préavis qui en découle en cas de rupture ; qu'en affirmant au contraire, pour refuser de prendre en compte les relations commerciales ayant existé avant le 1er octobre 2005, date de mise en location gérance du fonds au profit de la société POITOU BOISSONS, que le contrat de cession du 30 mars 2006 n'a pas de plein droit substitué la société POITOU BOISSONS au cédant, et que la poursuite des relations commerciales par la société POITOU BOISSONS pendant la location gérance et après l'acquisition du fonds ne valait pas acceptation de reprendre à sa charge les obligations découlant au titre de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, des relations commerciales précédemment établies, la cour d'appel, qui a considéré que la reprise de l'obligation de préavis liée aux relations antérieures à la location gérance par la société POITOU BOISSONS était subordonnée à une acceptation directe ou indirecte de sa part, a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

2°) ALORS QUE l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce n'instaure pas une responsabilité contractuelle, mais une responsabilité de nature délictuelle ; qu'en retenant que la société POITOU BOISSONS n'était pas tenue d'assumer l'obligation de préavis découlant des relations commerciales antérieures à la mise en location gérance du fonds, à défaut de démontrer qu'elle avait accepté d'assumer cette obligation, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

3°) ALORS QUE la seule poursuite par un locataire gérant d'une relation commerciale établie suffit à considérer que la relation initialement nouée avec celui qui a mis le fonds en location gérance s'est poursuivie avec la locataire gérante du fonds de commerce ; que la durée de la relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6 5° du code de commerce, doit alors être appréciée en tenant compte de la durée totale de la relation commerciale, incluant non seulement la durée de la location gérance mais également la durée de la relation précédente entretenue avec celui qui a mis le fonds de commerce en location gérance ; qu'en refusant, pour fixer le point de départ de la relation commerciale établie entre la société VIVIEN FRET et la société POITOU BOISSONS à la date de mise en location gérance, de tenir compte de la relation commerciale de même nature établie depuis 1998 par celui qui a donné le fonds en location gérance, après avoir constaté que « qu'à partir du 1er octobre 2005, la société Poitou Boissons a pris en location gérance le fonds de négoce de boissons dont la société Elidis Boissons Services Niort était propriétaire à Chasseneuil du Poitou, avant d'acquérir ce même fonds par acte du 30 mars 2006 » et que « la société Poitou Boissons a, comme le faisait la société Elidis Boissons services Niort, confié le transport de ces boissons à la société Vivien Fret le temps de la location gérance puis après l'acquisition », ce dont il résultait que la durée de la relation initialement nouée avec celui qui a mis le fonds en location gérance qui s'est poursuivie avec la locataire gérante du fonds de commerce devait être prise en compte, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce. »

 Photo : Pogonici - Fotolia.com.

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