Mustang

C'est le début de l'été. Dans un village reculé de Turquie, Lale et ses quatre sœurs rentrent de l’école en jouant avec des garçons et déclenchent un scandale aux conséquences inattendues. La maison familiale se transforme progressivement en prison, les cours de pratiques ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger. Les cinq sœurs, animées par un même désir de liberté, détournent les limites qui leur sont imposées...  

Entretien avec Deniz Gamze Ergüve, la réalisatrice

Vous êtes née à Ankara mais vous avez surtout vécu en France. Pourquoi avoir tourné en Turquie votre premier film?
La majeure partie de ma famille réside toujours en Turquie et j’ai passé ma vie à faire des allers-retours entre les deux pays. Je suis d’autant plus préoccupée par les histoires qui se déroulent en Turquie que c’est une région en pleine effervescence, où tout bouge. Depuis quelques temps, le pays a pris une tournure plus conservatrice mais on y ressent toujours une force, une fougue. On a le sentiment d’être au cœur de quelque chose, que tout peut vriller à tout moment, partir dans n’importe quelle direction. C’est aussi un réservoir à fiction incroyable.

Tout comme votre court-métrage de fin d’études, « Mustang» est le récit d’une émancipation. Quelle est la genèse de cette histoire ?
Je voulais raconter ce que c’est que d’être une fille, une femme dans la Turquie contemporaine. Un pays où la condition féminine est plus que jamais au centre du débat public. Sans doute le fait d’avoir un effet de dezoomage en quittant fréquemment la Turquie pour la France a eu son importance. À chaque fois que je retourne là-bas, je ressens une forme de corsetage qui me surprend. Tout ce qui a trait à la féminité est sans cesse ramené à la sexualité. C’est comme si chaque geste des femmes, et même des jeunes filles, avait une charge sexuelle. Par exemple, il y a ces histoires de directeurs d’écoles qui décident d’interdire aux filles et aux garçons de monter en classe par les mêmes escaliers. Ils vont jusqu’à aller construire des escaliers séparés pour chacun. Ça prête une grande charge érotique aux gestes les plus anodins. Monter les escaliers devient un sacré machin… C’est toute l’absurdité de ce genre de conservatisme: tout est sexuel. On en arrive à parler de sexe sans cesse. Et on voit émerger une idée de société qui positionne les femmes comme des machines à faire des enfants, bonnes à rester à la maison. On est l’une des premières Nations à avoir obtenu le droit de vote dans les années 30 et on se retrouve aujourd’hui à défendre des choses aussi élémentaires que l’avortement. C’est triste.

Pourquoi ce titre à la sonorité anglo-saxonne « Mustang » ?
Le Mustang est un cheval sauvage qui symbolise parfaitement mes cinq héroïnes, leur tempérament indomptable, fougueux.   Et même visuellement, leurs chevelures ressemblent à des crinières, leurs cavales à travers le village ont tout d’une troupe de mustangs... Et l’histoire avance vite, parfois à tambours battants. C’est cette énergie qui est pour moi le cœur du film, à l’image de ce Mustang qui lui a donné son nom.

Qu’y-a-t-il de vous dans le film ?
Le petit scandale que les filles déclenchent en grimpant sur les épaules des garçons avant de se faire violemment réprimander au début du film m’est réellement arrivé à l’adolescence. Sauf que moi, ma réaction à l’époque n’a pas du tout été de répondre aux remontrances qui m’étaient faites. J’ai commencé par baisser les yeux, honteuse. Ça m’a pris des années pour commencer à ne serait-ce que m’indigner un peu. Je tenais à faire de mes personnages des héroïnes. Et il fallait absolument que leur courage paye, qu’elles gagnent à la fin, et ce de la manière la plus jubilatoire possible. Je vois ces cinq filles comme un monstre à cinq têtes qui perdrait des morceaux de lui-même, à chaque fois qu’une des filles sort de l’histoire. Mais le dernier morceau subsisterait et réussirait à s’en sortir. C’est parce que ses aînées sont tombées dans des pièges que Lale, la cadette, n’a pas envie du même destin. Elle est un condensé de tout ce que je rêve d’être.

Vous semblez affirmer que la seule issue est l’éducation ?
La déscolarisation des filles et la réaction que cela suscite chez elles a, l’air de rien, un impact déterminant sur l’histoire. Mais je n’approche pas les choses de manière militante. On ne fait pas un film comme un discours politique. Romain Gary disait qu’il n’allait pas manifester car il avait une étagère entière de livres qui le faisaient à sa place. Il y a de ça : le film exprime les choses de manière beaucoup plus sensible et puissante que je ne pourrais le faire. Je l’envisage vraiment comme un conte avec des motifs mythologiques comme celui du Minotaure, du dédale, de l’Hydre de Lerne - le corps à cinq têtes que constituent les filles - et du bal, remplacé ici par un match de foot auquel les filles rêvent d’assister. 

Drame turc de Deniz Gamze Ergüven. Label Europa Cinema à la Quinzainze des réalisateurs, Cannes 20105.

Pour investir dans des films de cinéma :

75008 - CINÉFEEL PROD http://www.cinefeelprod.com


Voir toutes les newsletters :
www.haoui.com
Pour les professionnels : HaOui.fr