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Le jeu : ses fondements, ses ressorts Le trait le plus évident du jeu n'est autre que sa différence avec la réalité. Jouer, c'est jouer à être quelqu'un d'autre, ou bien c'est substituer à l'ordre confus de la réalité des règles précises et arbitraires, qu'il faut pourtant respecter scrupuleusement... Il faut entrer dans le jeu, il ne supporte pas le scepticisme notait Paul Valéry. Cependant, le jeu n'est plaisant que dans la mesure où cette entrée dans le jeu, en latin in–lusio, c'est-à-dire illusion, est librement consentie. Le jeu est l'occasion d'émotions puissantes, voire de vertige, émotions liées à ses aléas, au désir de gagner, au poids des enjeux. Pourtant, le jeu est, en première analyse du moins, "innocent", et même désintéressé, en ce sens que vaincre au jeu, ce n'est pas humilier l'adversaire. Prendre sa revanche est en droit toujours possible. « Toute nouvelle partie apparaît comme un commencement absolu », souligne Roger Caillois dans « Les jeux et les hommes ». Le jeu « est condamné à ne rien fonder ni produire, car il est dans son essence d'annuler ses résultats ». Ainsi, le jeu obéit à une logique diamétralement opposée à celle de la rentabilité. Né selon Schiller, au même titre que l'art, d'une surabondance d'énergie vitale par rapport aux besoins, d'une pulsion de jeu (dans l'allemand de Schiller, Spieltrieb), le jeu est donc avant tout occasion de dépense pure. L'activité déployée par le joueur est fondamentalement superflue. Certes, cela ne semble pas tenir compte des jeux d'argents. Mais ceux-ci ne produisent globalement rien, tout au plus enrichissent-ils certains joueurs aux dépens des autres, remarque Caillois. En ce sens, il n'y a de jeux à proprement parler qu'à somme nulle. Le gain n'est pas un salaire, note Johan Huizinga. Le salaire octroyé à un joueur le transforme ipso facto en un professionnel. Le jeu est donc une activité à part, distincte des activités utiles. Il faut rapprocher cette dimension d'une remarque de Johan Huizinga: comme le sacré, le jeu ne vaut qu'à l'intérieur de frontières temporelles et spatiales précises, la durée de la partie, le stade ou le damier. Le jeu serait une expression frappante de la liberté créatrice, du triomphe, mais parfaitement circonscrit, sur le déterminisme pesant des choses ou des statuts sociaux. À lire Le Joueur de Fiodor Dostoïevski, le joueur considère le hasard comme un être fantasque, étranger à toute règle durable ; un être qui peut tout donner et tout reprendre, pour qui tout est possible. Un coup de dé abolit, non le hasard, mais la nécessité. N'en concluons pas que le jeu annule toutes les lois. Il les rend plutôt particulièrement lisibles et univoques. Les jeux de hasard ont ouvert la voie au calcul des probabilités, parce qu'ils permettent de dépouiller le hasard de tous ses traits contingents en l'introduisant dans un système artificiel et fermé, homogène, soumis au nombre et à la répétition : le jeu de cartes ou la roulette. Les règles du jeu aboutissent à une stylisation extrême de la réalité, font de cette dernière un simple alibi de la compétition. Les jeux, note Caillois, ne sont pas tant réglés et fictifs que réglés ou fictifs. Le simulacre aurait la même fonction que la règle arbitraire : mettre hors jeu la réalité. « Cette conscience de l'irréalité fondamentale du comportement adopté sépare de la vie courante, en lieu et place de la législation arbitraire qui définit d'autres jeux. » Jeu et défi Quels que soient les enjeux, le beau joueur ne doit pas accorder trop d'importance à la victoire, ou à la défaite, parce que ce n'est précisément qu'un jeu, réputé sans conséquences. Pourtant, s'il ne leur accordait aucune importance, le jeu perdrait tout intérêt. Tout le déroulement de la partie d'échecs se rattache à la préservation du roi, à son assimilation provisoire au Moi du joueur. Celui-ci doit être capable d'investir le plus intensément possible cette convention, et de retirer instantanément cet investissement lorsque la partie est finie. Le jeu est ainsi une création dont le joueur reste maître (Karl Groos). Jeu et société Il est vrai qu'une intelligence purement échiquéenne serait remarquablement inadaptée à la vie. Jean Piaget a montré aussi quel rôle jouait le jeu dans la formation morale de l'enfant, son rapport à la règle comme aux valeurs d'égalité et de justice. Ajoutons que si l'important est "d'avoir gagné", indépendamment de toute conséquence, Huizinga lui-même constatait que cette supériorité tendait « à prendre l'apparence d'une supériorité en général ». À le lire, le jeu est même partie intégrante de la logique de sociétés entières, dans leur existence politique, juridique, guerrière. Ces sociétés obéiraient en effet davantage à la pulsion de jeu chère à Schiller qu'au principe de réalité. Dans ces sociétés ludiques, individus et groupes seraient moins friands d'avantages matériels que de l'honneur d'avoir bien joué. Ainsi, il ne s'agira pas de gagner la guerre par tous les moyens, mais de laisser une chance à l'adversaire, de s'exposer soi-même avec vaillance. L'homo ludens doit montrer qu'il est capable de mettre de bon cœur en jeu sa vie. Il entend s'affronter au destin, toujours ambigu, et à son vertige, le provoquer, même. Le risque est donc autant le propre du détachement ludique, d'un certain parti du "tout ou rien", que de l'engagement ou de la foi. Mais s'il est facile de tout perdre, on ne saurait tout gagner... Le simulacre Jean Piaget a particulièrement bien décrit l'importance du jeu symbolique dans le développement du jeune enfant. Il est très fréquent que le jeu soit une reprise symbolique de ce qui se passe dans la réalité. Mais la capacité à s'investir dans le « comme si... » du jeu va de pair avec une capacité de distinguer le littéral du métaphorique : pour que le jeu existe, il faut qu'il reste un certain écart entre réalité et fiction. Il existe donc une certaine ambivalence entre le joueur et le personnage qu'il incarne : il y place une partie de lui-même mais garde toujours un regard critique sur la réalité de cette incarnation. Institutionnalisé, cet aspect de l'activité ludique a donné naissance au jeu dramatique puis au jeu théâtral. L'exploit On peut aussi mentionner ce que Roger Caillois appelle ilinx (jeux de vertige) où le plaisir ludique vient d'un certain affolement des sens (manèges de fête foraine, sports de glisse, balançoire…) Le jeu chez l'animal Ainsi, pour Karl Groos « La jeunesse, qui n'existe que chez les espèces élevées, a pour but de procurer à l'animal le temps nécessaire pour s'adapter à ses devoirs très compliqués et qui ne sauraient être accomplis par l'instinct seul. » On peut en effet observer que les jeux des jeunes animaux consistent le plus souvent à exercer une activité motrice ou mimer les adultes : chasses, comportements sociaux... Texte sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici. Photo : Chlorophylle - Fotolia.com. Pour jouer en individuel comme en équipe : 91300 - LASER QUEST MASSY http://www.laser-quest-paris-massy.com Voir toutes les newsletters : www.haoui.com Pour les professionnels : HaOui.fr |