Léviathan

Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lilia et son fils Roma qu’il a eu d’un précédent mariage. Vadim Cheleviat, le maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter, mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Cheleviat devient plus agressif...

Entretien avec Andreï Zviaguintsev, le réalisateur

D’où vous est venue l’idée de Léviathan ?

En 2008, j’ai entendu quelqu’un raconter une histoire, qui s’était déroulée en 2004, d’un Américain nommé Marvin Heemeyer.

Marvin Heemeyer, un homme simple de 52 ans, soudeur de profession, vivant seul, possédait un atelier. Juste à côté se trouvait une usine qui avait fait faillite et un grand groupe américain avait décidé de la reprendre et d’en relancer l’activité. Pour ce faire, ils avaient racheté des terres qui jouxtaient l’atelier de Heemeyer. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, mais la lutte qu’il a engagée contre ce groupe, mais aussi contre la mairie, la police et les pouvoirs publics de l’État du Colorado, ne l’a mené à rien. Le désarroi l’a, en revanche, conduit un jour à prendre un bulldozer, à le transformer en blindé et à descendre en ville pour méthodiquement détruire plusieurs bâtiments administratifs. Cette histoire m’a profondément frappé et j’y ai vu l’image d’une incroyable rébellion.

Je l’ai à mon tour racontée à Oleg Neguine, mon coscénariste habituel, alors même qu’Elena n’était pas encore tourné, en lui disant que ça ferait une idée de film formidable.

Puis il y eut une deuxième étape, qui m’a convaincu de continuer à creuser cette idée, quand j’ai lu la nouvelle « Michael Kohlhaas », de Heinrich von Kleist, qui dans sa première partie semble venir en miroir de l’histoire de Heemeyer. Tout commence par le fait que Kohlhaas, marchand de chevaux, se rend au marché pour vendre des bêtes et, en chemin, alors même qu’auparavant la voie était libre, il tombe sur une barrière de péage. Or la personne qui m’avait raconté l’histoire de Heemeyer m’avait dit qu’une palissade avait été dressée tout autour de son terrain et qu’il devait lui aussi franchir désormais une barrière pour sortir. Je me suis dit que c’était incroyablement similaire. Pour Kohlhaas, dont l’action se passe du temps de la Réforme, même Martin Luther s’en est mêlé, lui enjoignant de déposer les armes. Car il a commis des choses vraiment horribles pour faire rétablir la justice ! Il a poursuivi un noble pour que celui-ci lui rende le cheval qu’il lui avait pris en guise de péage et auquel il avait infligé les pires traitements, ne voulant en contrepartie ni argent ni un autre cheval, mais disant : « c’est celui-ci que je veux que tu me rendes, en vertu du droit que m’a accordé la nature ». Une foule immense l’a rallié et est devenue une véritable armée qui a brûlé la ville de Leipzig. Nous avons immédiatement décidé de transposer cette histoire en Russie...

Léviathan, prix du scénario Cannes 2014. Propos recueillis et traduis du russe par Joël Chapron. 


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