Marie Heurtin avec Isabelle Carré et Ariana Rivoire

Cette histoire est inspirée de faits réels qui se sont déroulés en France à la fin du 19ème siècle. Née sourde et aveugle en 1885, âgée de 14 ans, Marie Heurtin est incapable de communiquer. Son père, modeste artisan, ne peut se résoudre, comme le lui conseille un médecin qui la juge « débile », à la faire interner dans un asile. En désespoir de cause, il se rend à l’institut de Larnay, près de Poitiers, où des religieuses prennent en charge des jeunes filles sourdes. Malgré le scepticisme de la Mère supérieure, une jeune religieuse, Sœur Marguerite, se fait fort de s’occuper du « petit animal sauvage » qu’est Marie et de tout faire pour la sortir de sa nuit...

Entretien avec Jean-Pierre Améris,  le réalisateur

Quelle est la genèse du film et l'origine de votre rencontre avec Marie Heurtin ?
Au cours de mon adolescence, j'ai été très impressionné par l'histoire d'Helen Keller, cette jeune fille américaine sourde-aveugle sauvée par sa gouvernante, découverte avec le film “Miracle en Alabama”, d'Arthur Penn. Cette histoire m'avait bouleversé à une période où j'étais très mal dans ma peau, parce que “trop” grand et déjà très travaillé par l'histoire du corps, du monstre, la question du handicap et de la différence.

Depuis lors, Helen Keller m'a accompagné. J'ai vu tous les films et téléfilms tirés de son histoire et j'ai un jour imaginé de la raconter à mon tour. Mais Helen Keller est un monument ! Les droits étaient vertigineux.

Après la déception initiale, j'ai entamé des recherches sur les sourds-aveugles.

Comme sur tous mes films, j'ai commencé par une démarche documentaire. J'ai trouvé un livre de Louis Arnould, “Ames en prison”, écrit dans les années 20, une succession de portraits de sourds-aveugles, dont celui de Marie Heurtin, dont j'ignorais tout bien que son histoire soit antérieure à celle de la jeune Américaine. J'ai alors découvert qu'elle avait été accueillie dans un pensionnat tenu par des religieuses de la congrégation des “Filles de la sagesse”, à Larnay, près de Poitiers, et que cet établissement continuait de nos jours à recevoir de jeunes sourds-aveugles.

Parmi tous les enfants dont parle Louis Arnould, qu'est-ce qui vous a particulièrement touché chez Marie Heurtin ?Lorsque Marie Heurtin arrive à Larnay, vers onze ans, c'est l'enfant sauvage, une “bête furieuse” comme le dit Louis Arnould. Ce qui m’a tout de suite attiré est ce rapport bientôt fusionnel qui va s'instaurer entre sœur Marguerite et cette enfant sauvage à laquelle elle doit tout apprendre, à commencer par le langage. J'ai immédiatement pressenti que cette relation avait dû être passionnante entre une religieuse à laquelle sa condition interdisait d'avoir des enfants, et cette petite qui allait devenir en quelque sorte sa propre fille, comme dans l'histoire d'Helen Keller.

Leur histoire me donnait aussi l'occasion d'aborder pour la première fois le thème de la foi, sous l'angle de la foi du charbonnier. Sœur Marguerite est une femme pragmatique, comme toutes les religieuses qui s'occupaient des pauvres, des malades, des vieux… Sa foi l'engage au travail, un travail patient et quotidien auprès de Marie. Elle n'implore pas Dieu d'accorder telle ou telle chose à Marie ou à elle même, elle agit !

Qui est Ariana, la jeune actrice incarnant Marie, et comment l'avez-vous découverte et choisie ?
Le casting a été très long. Nous avons visité beaucoup d'instituts de jeunes sourds où j'exposais mon projet à l'aide d'un interprète en langue des signes. J'ai rencontré de très nombreuses jeunes filles qui ignoraient tout de Marie Heurtin mais connaissaient toutes Helen Keller. Comme toujours dans un casting, on voit des gens intéressants, sans forcément trouver la personne que l'on cherche.

Jusqu'au jour où, dans un lycée à Chambéry, après avoir vu beaucoup de jeunes filles et alors que je déjeunais à la cantine, j'en ai repéré une qui n'était pas venue au casting parce que, m'a-t ’elle dit, elle avait oublié de s'inscrire ! Finalement nous l'avons fait passer entre deux rendez-vous.

Cela a été une évidence absolue, c'était elle et pas une autre ! Et la question n'était même pas de savoir si Ariana savait jouer. Ce n'était pas mon souci. Car j'ai tout de suite pressenti qu'elle avait en elle la vivacité, la force qui devaient être celles de Marie Heurtin.

C'était le grand enjeu, car le film repose pour une grande part sur ce rôle-là. Il s'agissait de trouver une enfant capable de jouer une sourde aveugle, mais aussi l'enfant sauvage, violente, la coiffure échevelée… Il ne fallait pas être inhibé comme le sont souvent les adolescents, il fallait être capable de jouer un rôle où il serait nécessaire, en permanence, de se battre, de toucher l'autre, la renifler… J'avais senti chez beaucoup de jeunes filles qu'on n'arriverait pas à lever leurs timidités adolescentes, ce qui n'était pas le cas avec Ariana.

Est-ce qu'il vous paraît abusif de dire que votre film est un film d'aventure, aventure humaine, aventure intérieure ?En effet, c'est une aventure ! On part d'une situation impossible et une personne dit, je vais le faire, et l'on est invité à suivre cela, on se demande si elle va y parvenir, on assiste à ses échecs, ses succès et il y a un véritable suspense. Je pensais parfois au “Trou” de Jacques Becker, à ces prisonniers qui creusent un trou pendant tout le film, et ça devient presque la métaphore de l'être humain, dans sa quête de libération. Je voulais filmer cela, la libération, quelqu'un qui naît au monde.

Sœur Marguerite ne fait rien d'autre qu'offrir le monde à Marie, par le toucher et le langage, et c'est toute une aventure. Pendant des jours et des jours, comme les prisonniers de Becker qui creusent quotidiennement, elle lui répète que le signe pour désigner le couteau c'est celui-là, encore et encore, ça devient presque obsessionnel.

Sœur Marguerite est seule, elle na pas de référence, elle invente au fur et à mesure, ce n'est pas une spécialiste qui suit des règles préétablies. Et cela devient l'aventure de sa vie, c'est ce qui est merveilleux à raconter.

Mon film est également une histoire d'amour. Pas un amour gnangnan mais un amour exigeant, qui se construit dans le travail, la confiance et le respect mutuels.

Et cet amour vient d'une histoire commune, de tout ce travail réalisé ensemble, ces moments où l'on a réussi quelque chose, ces échecs, ces affrontements.

Drame de Jean-Pierre Améris avec Isabelle Carré et Ariana Rivoire.


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