Le prénom avec Patrick Bruel et Charles Berling

Vincent, la quarantaine triomphante, va être père pour la première fois. Invité à dîner chez Élisabeth et Pierre, sa sœur et son beau-frère, il y retrouve Claude, un ami d’enfance. En attendant l’arrivée d’Anna, sa jeune épouse éternellement en retard, on le presse de questions sur sa future paternité dans la bonne humeur générale… Mais quand on demande à Vincent s’il a déjà choisi un prénom pour l’enfant à naître, sa réponse plonge la famille dans le chaos.

Entretien avec Charles Berling qui joue le rôle de Pierre le beau-frère de Vincent…

Vous êtes «le nouveau» de cette aventure puisque  vous n’étiez pas à l’affiche de la pièce de théâtre, qui mêle une intrigue typiquement de boulevard avec des réflexions plus profondes…
J’avais vu la pièce et j’avais été frappé par son rythme, cette impression de rebond permanent. Ce qui me plaît dans cette écriture, c’est qu’elle correspond à une peinture de la France d’aujourd’hui. C’était vrai sur scène et ça l’est à l’écran. Comme si certaines angoisses typiquement françaises se traduisaient par un jeu totalement débridé et assez violent, ce qui débouche sur une vraie drôlerie car cette violence est tout à fait assumée… Pierre, mon personnage, représente une France cultivée, qui travaille mais qui est aussi en perte de vitesse et de repères. Il s’oppose à Vincent, le personnage de Patrick Bruel, qui lui assume le fait de gagner de l’argent, qui ne s’embarrasse pas de principes et qui réussit dans notre société actuelle… Leur affrontement est formidable et d’ailleurs, l’énergie du tournage s’en est ressentie: elle correspond à l’écriture des auteurs et à la réalité qu’ils décrivent! Le boulevard essaye toujours d’éviter les sujets qui fâchent : ici, même si la structure en effet est assez classique, Matthieu et Alexandre y ont ajouté des ingrédients plus cruels, presque trash. Et ce côté excessif m’a beaucoup intéressé!

Comment trouve-t-on sa place dans un groupe de comédiens qui a déjà une expérience de 250 représentations et qui est donc habitué à une sorte de vie en commun ?
Nous en avions parlé avec les auteurs et c’était l’occasion de déstabiliser certains automatismes, de les perturber. Pour moi, c’était un film et je n’avais pas à me «réinventer» par rapport à la pièce d’origine. Jean-Michel Dupuis qui jouait Pierre au théâtre était formidable mais, dès le départ, il a été clair que je proposerai autre chose. Il n’était pas question de le copier… Le fait d’avoir été choisi débouchait d’entrée sur quelque chose de différent, un autre équilibre à donner à ce quintet. Ma chance était aussi d’avoir des partenaires qui maîtrisaient parfaitement leur rôle, d’évoluer dans un décor sensationnel, avec des metteurs en scène qui connaissaient leur texte plus que sur le bout des doigts et qui étaient à même de le faire évoluer quand c’était nécessaire. Mais tout s’est fait avec sensibilité et beaucoup de justesse parce qu’avec des textes aussi bons que ceux-là, il n’y a pas plusieurs bonnes solutions pour les jouer.

Venons-en à Pierre, votre personnage dans LE PRÉNOM. Ce qui domine d’abord c’est son côté «bobointello-égocentrique»… Et au fur et à mesure du récit, on se rend surtout compte de sa terrible lâcheté par rapport à la vie…
Oui, il fait partie de ces gens qui gardent un formidable appétit de vie, une véritable énergie mais qui, avec le temps, se sont laissés piéger par les apparences, les poncifs de l’existence, d’où ce côté «bobo» en effet. Il n’est plus vraiment en conformité avec la réalité de ce qui se passe autour de lui! Par exemple quand il se fait assaillir par Babou, sa femme, qui d’un coup, raconte ses travers, ses erreurs et ses failles, il est le premier surpris ! Pierre fait partie de ces hommes cultivés, de gauche, adeptes de toutes ces choses comme la parité et qui en même temps se comportent exactement comme Vincent, apparemment à cent lieues de ces valeurs. Il juge les autres sur des défauts qu’il développe lui-même! Le fait de s’inventer une vie et d’y croire conduit à la lâcheté.

Vous connaissez bien ce monde-là, en tant qu’artiste évidemment, mais aussi de par votre propre famille puisque l’un de vos oncles était le célèbre critique littéraire Raymond Picard. Vous êtes-vous inspiré de cet univers familier pour construire le personnage de Pierre ?
Oui, bien sûr! Je connais très bien cette forme de rigidité bourgeoise et culturelle et je l’ai d’ailleurs au fond de moi ! Je n’ai eu qu’à piocher dedans, en espérant tout de même ne pas être arrivé à un degré irréparable. C’est pour cela que cette comédie est intéressante: on s’y retrouve, on y reconnaît nos propres travers. Cette peinture cruelle provoque le rire et nous soulage à la fois. C’est un rôle que j’ai abordé avec beaucoup d’excitation et de jubilation parce qu’il me permettait d’aborder des choses auxquelles je ne m’étais pas encore confronté : cette hystérie, cette outrance dans le rapport de force, cet autoritarisme abominable!

Avec une belle idée derrière le ressort comique, la question centrale du film est en fait : «l’amitié se relève-t-elle d’une crise, d’une explication de fond de toutes les rancunes qui traînent depuis des lustres» ?
Et la réponse est oui ! C’est d’ailleurs ce qui est terriblement bien vu de la part des auteurs. Après tout ce qui se passe, ça repart «comme en 14»! Et non seulement leur amitié résiste mais en plus elle se nourrit de la crise qu’elle vient de traverser! Ça renvoie à ce que je vous disais : c’est typiquement français! Si la pièce a marché à ce point, c’est parce qu’Alexandre et Matthieu sont de purs produits de notre culture nationale. Et quand on les connaît, on s’aperçoit qu’entre les lignes de leur texte, ils parlent aussi un peu d’eux! C’est ce qui fait les bons auteurs : ils ne s’épargnent pas. Cette soirée, cette heure et demie totalement incandescente cristallise toutes les passions qui les animent depuis toujours.

Dans le couple même que forment Pierre et Babou, on retrouve également des non-dits, des rancœurs et des lâchetés qui vont soudainement ressurgir.
Oui, mais là aussi, rien ne sera détruit par cette terrible soirée parce que le lien qui unit ces personnes est très fort.  D’accord, tous ces personnages apparaissent comme totalement cinglés, mais aussi et surtout pleins d’amour les uns envers les autres !

Et vous, gardez-vous un souvenir paisible du choix de «Émile» comme prénom pour votre fils ?
Disons qu’à l’inverse de mon frère, je suis resté dans des zones plus classiques ! Émile est un prénom classique, alors que mes neveux et nièces s’appellent Balthazard et Maia… Donc c’est vrai que mes enfants dans le film, Apollin et Myrtille, m’ont fait penser aux choix de mon frère. Mais là encore, c’est très bien vu de la part des auteurs : nous sommes dans une société qui évolue, qui se cherche et le choix des prénoms a été bouleversé en 20 ans. LE PRÉNOM renvoie à cela, à des choses plus profondes que du simple comique de théâtre et même à des vérités plus douloureuses comme ces deux France qui s’affrontent actuellement.

LE PRÉNOM nous a d’ailleurs fait penser à l’un de vos autres films, RIDICULE de Patrice Leconte, avec cette idée de dîner où l’on s’envoie des piques sous couvert de la culture, les apparences de chacun, le manque de fond de certains convives…
L’une des similitudes concerne la joie très française d’utiliser le langage, de parler, d’échanger au cours d’un repas à l’occasion de véritables joutes verbales. Quitte à aller trop loin comme le faisait, face au Roi, l’Abbé campé par Bernard Giraudeau dans RIDICULE.

Vous excellez dans ce registre de la comédie qui a du fond et pourtant, on vous y voit peu au cinéma.
En vérité, on m’en propose rarement, même si j’en ai déjà tourné d’autres. Je crois être catalogué comme un acteur tragique, sérieux, presque douloureux! Ça m’ennuie car je considère l’art dramatique comme étant complet et je n’ai jamais opposé le tragique et le comique. J’aime les propositions comme LE PRÉNOM car il y a un fond sur lequel s’appuyer mais qui amène le rire. J’ai commencé en faisant du comique, j’adore ça, mais on ne me voit pas comme ça, c’est dommage. D’où ce sentiment que le rôle de Pierre m’attendait !


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